L’Eden de Saint-Jean d’Angély sera reconstruit

Après l’incendie du cinéma Eden, élus et habitants se mobilisent pour reconstruire une salle de spectacles.

Nous remercions Françoise Mesnard, maire de Saint-Jean d’Angély, Christian Queyroix, président de l’association Eden, et l’architecte Nathalie Lambert, maître d’œuvre du projet, pour les informations qu’ils nous ont données.

Le samedi le 3 Mai 2014, un incendie ravage le cinéma Eden (1931) de Saint-Jean d’Angély en Charente-Maritime. La façade s’écroule sous les yeux des Angériens consternés et incrédules. En moins de deux heures, un magnifique exemple de cinéma Art Déco est un amas de ruines. [cliquez sur les images pour les agrandir]

L’Eden, construit en 1931 par André Guillon

L’Eden, construit en 1931 par André Guillon

3 mai 2014. Au-dessous de la partie écroulée, deux bas-reliefs sont intacts

3 mai 2014. Au-dessous de la partie écroulée, deux bas-reliefs sont intacts

Mais très vite, un groupe de passionnés décide de réagir et de s’organiser. Ironie de l’histoire – et chance à saisir –, Françoise Mesnard, la maire nouvellement élue, avait inscrit à son programme électoral…  la restauration de l’Eden. L’association Eden se crée et se met – en accord avec la mairie – à réfléchir à un avant-projet. L’Eden de 1931 a irrémédiablement disparu ? Eh bien, un nouvel Eden renaîtrait sur les ruines de l’ancien.

Il était une fois…Le cinéma Eden, cher au cœur des Angériens :

La façade imaginée par André Guillon

Façade imaginée par André Guillon

L’Eden fut bâti en 1931 dans le style Art Déco par l’architecte André Guillon (qui construisit d’autres lieux de spectacles dont l’Apollo de Rochefort et le théâtre de la Rochelle). Selon une note de juillet 1931, retrouvée par Christian Queyroix dans les archives de l’architecte, celui-ci donnait des instructions précises à l’entreprise de peinture sur les couleurs qu’il souhaitait pour la façade.

Une belle verrière symbolisant les quatre bras du fleuve qui irriguaient le jardin d’Eden se trouvait au-dessus de l’entrée.

Eden 2 Deux bas-reliefs, réalisés par le sculpteur Henri Courdavault, l’un représentant la Science et l’autre, l’Art, étaient placés de part et d’autre de l’entrée. Ils ont miraculeusement survécu à l’incendie et seront reproduits à l’identique ; les originaux seront exposés dans le musée de la ville. Les pierres rescapées seront, elles-aussi, réintégrées dans la nouvelle façade.

Les bas-reliefs du sculpteur Henri Courdavault

Les bas-reliefs du sculpteur Henri Courdavault

Sur le panneau de droite, au-dessous de l’inscription « Scientia », un entrelacs de pellicules déroulées, de bobines, de projecteurs évoque la technique cinématographique. A gauche, le panneau « Art », avec ses personnages (des danseuses ?) évoluant dans un  décor de feuillages et de fleurs, semble figurer une scène de théâtre ou de music-hall.
Architecte moderne, André Guillon utilisa les ressources de la lumière (comme le montre l’affiche ancienne ci-dessous) pour mettre en valeur la façade par une lanterne tournante placée sur le toit et par deux colonnes lumineuses, de part et d’autre de l’entrée.

Façade illuminée par la lanterne tournante et les colonnes lumineuses

Façade illuminée par la lanterne tournante et les colonnes lumineuses

À l’intérieur, la salle, dotée d’un vaste balcon et sobrement décorée d’une frise à motifs géométriques, pouvait accueillir 1100 spectateurs (940 en 1950, après un réaménagement du balcon). Les luminaires de forme carrée étaient eux aussi de pur style Art déco. L’architecte avait donné des instructions précises sur les décors de la salle : « tentures murales, lambris et portes teintés bleu clair ;  frise or et aluminium ; plafond à gros grain ocre jaune et crème clair ; points lumineux du plafond en glace gravée ; façade de scène tout métal or et aluminium »(1).

La salle de l’Eden. Frise géométrique visible au plafond

La salle de l’Eden. Frise géométrique visible au plafond

Au premier étage du bâtiment, derrière le grand vitrail, la salle du bar-dancing était rythmée par  quatre piliers octogonaux surmontés de chapiteaux décorés en métal argenté et pois marrons.

Le bar dans les années 30- détail d'un chapiteau

Le bar dans les années 30- détail d’un chapiteau

Le hall avec ses colonnes et les motifs géométriques des baies vitrées reflétait ce même style Art déco.

Hall d'entrée du cinéma

Hall d’entrée du cinéma

En 1983, la salle fut restructurée en 4 salles par Jean-François Blanc, dernier propriétaire et exploitant de l’Eden , « mémoire » de l’association Eden dont il est aussi le Vice-Président. L’historien du cinéma Jean-Jacques Meusy (qui, le premier, nous parla de l’incendie de l’Eden et du projet de reconstruction) se souvient que Jean-François Blanc tenta d’assurer l’avenir de l’Eden en proposant des « vidéo conférences » et des « vidéotransmissions par satellite de spectacles prestigieux », ainsi qu’un ciné-club. Mais malgré ces initiatives, l’avenir du cinéma était compromis. Lorsque Jean-François Blanc prit sa retraite en 2001, la ville acheta le bâtiment qui resta inutilisé. Comme nous l’a expliqué Christian Queyroix, il était entouré de barrières et les portes d’accès étaient fermées avec des planches mais les intrusions étaient fréquentes. Incendie criminel ou accidentel ? Cela ne change malheureusement rien au résultat.

La façade du bâtiment et la salle de bar avaient été inscrites à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques par arrêté du 5 décembre 1984.

Un nouvel Eden « multi-spectacles »

Elaboration du projet

Après le désastre, le temps était compté : en effet, pour que la ville bénéficie de l’indemnité accordée par la compagnie d’assurance, la reconstruction devait avoir lieu dans un délai de trois ans à compter du sinistre.  Soit mai 2017, une vraie course contre la montre, compte tenu des procédures (demande de subventions, délivrance du permis de construire, appels d’offres, etc.). D’où la conviction de l’association Eden : il fallait être réaliste pour éviter à tout prix qu’un projet trop ambitieux, trop dispendieux ou mal défini ne s’enlise. Faire simple, clair, s’efforcer de partir des attentes des habitants … et d’un budget contraint qui devait être couvert par la prime d’assurance (d’environ 1,8 millions d’euros), les subventions des pouvoirs publics (ville, région, département) et des dons privés.
Mais il fallait aussi parallèlement mobiliser les énergies, ne pas laisser le fatalisme ou le découragement s’installer, donner envie à tous de voir renaître l’Eden. Très vite, une soirée fut organisée autour de la projection du film Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore. Moment convivial et émouvant qui contribua à souder les habitants autour de ce projet fédérateur. D’autres soirées et sorties allaient suivre pour récolter des fonds et entretenir la flamme…

La méthode : résolument participative

Élus, habitants, architecte

Sur la base du cahier des charges défini par la ville (« créer un lieu culturel qui soit un lieu de vie permanent en milieu rural », comme l’explique la maire Françoise Mesnard), une petite équipe, regroupant des gens de profils divers – scénographe, éclairagiste, un peintre de décor de théâtre, etc. – se réunit au sein de l’association Eden pour mettre en commun suggestions et propositions devant aboutir à un avant-projet. Ce fut fait en un temps record. Soumis à un comité de pilotage (composé d’élus, de techniciens, de représentants des associations, de professionnels) et validé par la mairie, cet avant-projet fit l’objet d’une présentation publique qui permit aux habitants de donner leur sentiment.
À la suite de l’appel d’offres lancé par la mairie, c’est l’architecte Nathalie Lambert, très active dans la région Poitou Charente, qui a été retenue pour assurer la maitrise d’œuvre. Il lui incombait de finaliser le projet architectural, de l’adapter au projet culturel souhaité par la ville et les habitants. Comme elle nous l’a précisé, elle a pu sans difficulté apporter sa « patte », d’autant que ses suggestions et son discours « allaient dans le même sens que celui des élus et de l’association Eden. « Nous nous entendons et nous nous comprenons très bien », ajoute l’architecte, « nous avons un souhait commun :  que l’Eden revive et que le maximum de son identité d’origine soit conservée ». En effet, bien qu’il ne s’agisse pas d’une reconstruction du bâtiment à l’identique, la façade principale du nouvel Eden reprendra les éléments décoratifs de l’ancienne façade, typiques de l’Art déco, choix plébiscité par les Angériens, attachés à la silhouette familière de l’ancien cinéma. L’architecte des bâtiments de France a donc également été « contacté et ses conseils écoutés ».

Projet de reconstruction

Projet de reconstruction

Le nouveau bâtiment abritera deux salles de spectacles pluridisciplinaires : une petite salle de 80 places assises (ou 200 debout) et une grande salle de 350 places assises (850 personnes debout ) avec tournette (scène tournante) et gradins télescopiques. Un bar/restaurant complètera l’ensemble, ainsi qu’un « jardinet des artistes ». Un des murs latéraux sera végétalisé.

Nouvel Eden - vue latérale

Nouvel Eden – vue latérale

Quant à la programmation, elle reste encore à définir précisément mais – Christian Queyroix le souligne – , elle n’est pas du ressort de l’association Eden dont le rôle a été d’élaborer l’avant-projet et qui continuera à le soutenir jusqu’à son aboutissement. Il appartiendra au directeur de la programmation nommé par la ville de faire ses choix. Des hypothèses se dessinent : musique, jazz (il serait question d’un festival de jazz créole), mais aussi théâtre, musique, danse. Selon Christian Queyroix, de nombreuses associations sont actives à Saint-Jean d’Angély et pourraient ainsi trouver un lieu où déployer leurs talents.

Les travaux de reconstruction devraient commencer au deuxième trimestre 2016.

En attendant que le rideau se lève, l’association, qui ne reçoit aucune subvention, continue son travail de mobilisation et de soutien en organisant des sorties et des soirées destinées à collecter des fonds.
La dernière s’est tenue le 5 février 2016 :

soirée du 5 février

5 février : Xavier Richardeau, Christian Queyroix, Françoise Mesnard et Bruno Guillon

Soirée du 5 février : Xavier Richardeau, Christian Queyroix, Françoise Mesnard et Bruno Guillon

Retrouver un bel édifice « à la hauteur de l’ancien », faire revivre un lieu culturel qui contribue à dynamiser la ville, telle est l’ambition qu’expriment tous les acteurs impliqués dans ce projet.

Annie Musitelli ©lesamisdulouxor.fr

Notes

1. Fonds André Guillon :  note reproduite dans le présentation du projet par l’association Eden

Sources documentaires :  association Eden
Site de l’inventaire du patrimoine du Pays des Vals de Saintonge

Merci à Christian Queyroix de nous avoir autorisés à reproduire certaines des illustrations figurant sur le site de l’association Eden.