Souvenirs d’un spectateur heureux

Nicole Jacques-Lefèvre s’est entretenue avec Jean-Pierre Lemaire, habitant du quartier, cinéphile et ancien spectateur du Louxor.

Pour Jean-Pierre Lemaire, éditeur d’art et d’histoire et spécialiste de l’histoire du cinéma, né le 22 août 1941, le Louxor est une affaire de famille. Ses grands parents, M. et Mme De Jonghe, qui habitaient 51 bd de La Chapelle, ont failli être expropriés lors de sa construction, qui devait s’étendre au-delà de la surface finalement retenue. Ce qui n’a pas empêché sa mère de l’emmener très jeune, le dimanche, au Louxor. Elle évoquait aussi sa propre expérience de spectatrice au Louxor, et Les Périls de Pauline, série en 20 épisodes,  produite par Pathé en 1914, avec Pearl White.

Dans les années 1946-49, alors que le Louxor projetait les films de la RKO, dont Howard Hugues était directeur, il y a vu tous les Walt Disney (Pinocchio, Dumbo, Bambi, …) et, vers l’âge de onze ou douze ans, Bari chien loup avec Pierre Fresnay. Le Louxor était alors, contrairement au Palais-Rochechouart (à l’actuel emplacement de Darty) qui diffusait en première exclusivité, un cinéma de deuxième exclusivité, aux versions toujours françaises. Trois prix étaient proposés, pour l’orchestre, le 1er et le 2e balcon. Le Louxor était alors très fréquenté, et il n’était pas rare de s’y trouver dans de longues files d’attente : on s’installait donc aux places qui restaient libres. On pouvait fumer dans la salle.  Lorsqu’un film avait beaucoup de succès, il restait deux semaines à l’affiche. Ce fut le cas, entre 49 et 50, de Samson et Dalila de Cecil B. DeMille.

1953 : à l'affiche La Veuve joyeuse avec Lana turner

Louxor 1953 : La Veuve joyeuse (production MGM avec Lana Turner)

Jean-Pierre Lemaire, lorsqu’il avait 9 ans, avait fait de la figuration dans quelques films. Il put donc se voir lorsque le Louxor programma  La Jeune folle (1952) d’Yves Allégret, avec Danièle Delorme et Henri Vidal. Vers les années 52-53, il assista à la projection de La Veuve Joyeuse, avec Lana Turner, et de Mangala fille des Indes, équivalent indien d’Autant en emporte le vent. J-P Lemaire se souvient, dans les mêmes années, des premières publicités en couleur (« Dents blanches, haleine fraîche… ») projetées lumières allumées.
Mais l’année 53 fut aussi marquée par un véritable événement : l’arrivée au Louxor du relief.  Deux projecteurs simultanés étaient nécessaires, et on distribuait aux spectateurs une paire de lunettes aux verres teintés vert et rouge. Sangaree, distribué par Paramount, premier grand film en 3D, offrit donc aux habitués du Louxor de nouvelles émotions, auxquelles Arlène Dahl, la superbe héroïne, contribua pour beaucoup.
Beaucoup de thrillers passaient alors, comme Le Masque arraché, de la RKO, avec Joan Crawford, ou Raccrochez c’est une erreur, avec Barbara Stanwick. En raison de son jeune âge, il n’était pas autorisé à en être spectateur,  mais une porte, sur le Boulevard de la Chapelle,  fermait mal, et, en se cachant de l’ouvreuse, il parvenait à entrevoir quelques images…

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Film d’Anatole Litvak, sorti en 1949

Le Louxor programma, dans les années 50, des films comme La Rue sans loi, avec des personnages inspirés de Dubout, Les Mines du roi Salomon, La Vallée des Rois ou Mogambo, et les films d’Eddie Constantine (La Môme Vert-de-Gris, Les femmes s’en balancent, Cet homme est dangereux, Ça va barder, etc.). Mais aussi des comédies musicales en Gevacolor avec Marika Rökk  – qui avait été, avec Zarah Leander,   l’une des égéries du cinéma nazi –  comme Le Masque bleu (53), Les Nuits du Perroquet vert (57)  et Princesse Czardas.
Jean-Pierre Lemaire se souvient aussi de magnifiques documentaires, projetés au Louxor dans les années 55-58 : Continent perdu, de Leonardo Bonzi(1954), Magie verte, de Gian Gaspare Napolitani, qui obtint en 1953 le Prix international du film d’explorateur au Festival de Cannes, et L’empire du soleil d’Enrico Gras (1957), dont Mathé Altery enregistra le leitmotiv.
Jean-Pierre Lemaire, ayant abandonné provisoirement le quartier pour d’autres horizons parisiens et d’autres salles, retournera plus tard au Louxor, à la fin des années 60, par amour du peplum. Le Louxor pratiquait alors la double programmation, et aux peplums, souvent italiens  (les Hercule, Maciste, etc.) s’ajoutaient des films égyptiens. On pouvait alors voir deux films pour 4 ou 5 francs.

Bien d’autres films qui furent projetés au Louxor sont évoqués dans notre entretien : des Charlie Chaplin aux premiers Mariano (Violettes impériales…), projetés sur écran standard, des Tino Rossi de l’après guerre au Jeanne d’Arc de Victor Fleming, avec  Ingrid Bergman, du Secret des Incas, avec Charlton Heston, à Thérèse Raquin de Marcel Carné, avec Simone Signoret et Raf Vallone, etc. Nous en reparlerons dans le cadre de la publication des programmations du Louxor.

Nicole Jacques-Lefèvre | ©lesamisdulouxor.fr