Vie et mort des cinémas parisiens (1982-1992)

Un de nos adhérents cinéphiles nous avait signalé  au printemps dernier l’enquête photographique que Jean-François Chaput, photographe et projectionniste, avait menée à Paris entre 1982 et 1992 sur les cinémas parisiens dont on commençait à chuchoter la fermeture prochaine. Nombre de ces photos avaient fait l’objet d’une exposition en 1995, au musée de la SEITA aujourd’hui disparu. Nous avions invité Jean-François Chaput à se joindre à l’une des visites du Louxor organisées par la mission cinéma au mois de juin car cette salle figurait en bonne place parmi les cinémas qu’il avait immortalisés, et dont la plupart n’existent plus aujourd’hui. Il a photographié le Louxor à un moment « historique », le jour de  la dernière séance du 29 novembre 1983. Nous le remercions de nous autoriser à publier cette vue du Louxor qui projetait, cette semaine-là, Qaid, l’un des très nombreux films indiens programmés pendant les dernières années de son activité.

30 novembre 1983 : dernier film programmé au Louxor

29 novembre 1983 : dernier film programmé au Louxor

Jean-François Chaput nous a  parlé de cette passionnante enquête.

En 1982, il cherche simplement une vieille salle de cinéma pour y tourner un court-métrage et se met donc à parcourir Paris de long en large pour visiter les salles de quartier, encore nombreuses à cette date dans tous les arrondissements. Mais il sent qu’il se passe quelque chose et qu’une page est en train de se tourner. Beaucoup de ces cinémas vivotent, tiennent tant bien que mal en offrant à leur public des films de kung fu ou de porno, mais pour beaucoup la fin est proche. Déjà, certains ont fermé, et l’annonce de la fermeture prochaine d’autres se répand de bouche à oreille.

Alors son projet évolue. Poussé par un sentiment d’urgence, il décide de photographier le plus grand nombre possible de ces cinémas. Ce sont le plus souvent de modestes salles de quartier dont beaucoup ont encore leurs moulures, colonnes, rideaux de scène poussiéreux. Son enquête (qu’il mène parallèlement à d’autres activités professionnelles) s’étale sur près de dix ans. Son regret  aujourd’hui ? Avoir omis certains cinémas, maintenant disparus sans qu’il reste trace de leurs dernières années d’existence. Mais il nous parle aussi des gens qu’il a côtoyés.  Car la fermeture d’un cinéma, c’est un crève-cœur pour ceux qui y travaillent. Il les a donc beaucoup écoutés et photographiés : caissières, ouvreuses, projectionnistes, certains saisis par l’objectif le jour de la fermeture définitive, comme cette ouvreuse du Louxor ou les quatre employés de La Cigale (cinéma de 1927 à 1986). Jean-François Chaput a également photographié avec une tendresse particulière,  à côté de leurs appareils, ses confrères projectionnistes, qui lui ont raconté l’évolution des techniques et la transformation de leur métier.

Mais même s’il a tenu cette  « chronique d’une mort annoncée »,  il ne cultive pas la nostalgie et fait la part des choses : certaines de ces salles, sans grâce particulière, sans confort, souvent étroites et tout en longueur, avaient fait leur temps. Les rénover et les agrandir aurait coûté une fortune ; l’opération était même impossible dans le cas de petits cinémas enserrés entre des immeubles.  En revanche, la disparition de certaines salles qui auraient été assez vastes et belles pour être reconverties ou rénovées,  lui semble un gâchis comme le Saint-Antoine, ou Les Tourelles.

Brochure de l'exposition "Enquête d'un projectionniste", pages 6-7 : le Barbès-Palace (actuel magasin Kata) Photo J.F.Chaput

Brochure de l’exposition “Enquête d’un projectionniste”, pages 6-7 : le Barbès-Palace (actuel magasin Kata) Photo J.F.Chaput

Jean-François Chaput  n’était pas un habitué du Louxor mais il a assisté à une séance  en 1978. C’est surtout l’atmosphère qui lui reste en mémoire : salle bondée, familles chargées de paquets (sans doute venaient-elles de faire leurs courses dans les magasins du quartier, chez Tati entre autres) et qui faisaient une pause au cinéma en sortant les sandwichs. Le sous-sol était, lui aussi, très fréquenté, mais visiblement pour de tout autres raisons que l’amour du  cinéma ! Le panneau qu’il eut le temps de photographier : « Défense de stationner  – Sur ordre de la Préfecture de Police de Paris » était, selon toute apparence, fort peu dissuasif car on s’y bousculait ! Mais la salle  elle-même ? Elle était relativement bien tenue mais le décor intérieur était sans originalité. Ce sont surtout les deux balcons haut perchés et le volume impressionnant de l’ensemble qui restent dans son souvenir.

Le 30 novembre 1983, jour de la fermeture du Louxor, il était là aussi. Drôle d’ambiance, bien différente de celle de 78. Quelques spectateurs clairsemés, une ouvreuse mélancolique qui pose devant l’objectif et puis ce serait fini pour le cinéma Louxor.

Fini ? Pas du tout. En 2013, ça recommence…

Propos recueillis par J.M. Humbert et Annie Musitelli | ©lesamisdulouxor.fr