Attractions du Louxor, II : La vie d’artiste

Achille Daras, éphémère attraction au Louxor

Dans la liste des artistes s’étant produits au Louxor, publiée en annexe de l’article Les attractions au Louxor pendant les années 20, Nicole Jacques-Lefèvre a eu la surprise, à la date du 4 mai 1923, de lire le nom de son arrière-grand-oncle : DARAS. La biographie qu’elle a pu retracer illustre parfaitement ce que pouvaient être ces vies d’artistes aux talents variés, bourlingueurs, un peu aventuriers, jamais découragés par la précarité de leur condition…

Je n’avais d’abord connu Achille Daras, mon arrière-grand-oncle, que par ouï-dire : on en parlait peu dans la famille, où il avait néanmoins une réputation de chanteur et de grand voyageur. Mais, il y a peu de temps, Dominique Delord, infatigable chercheuse, m’a retrouvé quelques articles et images qui, joints à des souvenirs et documents familiaux, me permettent de retracer aujourd’hui une partie d’une carrière certes modeste, mais sans doute assez représentative de celle des artistes de l’époque, dont tous ne pouvaient accéder au vedettariat.
Achille Arthur Léon Daras était né à Dagny-Lambercy, dans l’Aisne, le 31 janvier 1875, d’un père menuisier. Mais, si sa mère retourna accoucher dans sa famille, comme il était souvent de tradition, ses parents s’étaient installés à Paris vers 1868, peu après leur mariage, sans doute pour trouver plus facilement du travail.
Achille, qui possédait une belle voix de baryton, semble s’être engagé assez vite dans une voie artistique, avec des talents divers. En 1896, son passage est signalé dans plusieurs lieux : il donne un spectacle de danseur-imitateur à la Scala de Tours, fait partie à Paris de la troupe de la Gaîté-Rochechouart,

Le Courrier français, 16 fév. 1896, illustration de Willette (document D. Delord) – à droite, affiche de Candido Arargones de Faria. (Source BNF Gallica). Cliquer sur l’image pour l’agrandir

puis de la nouvelle troupe de l’Eldorado, et offre aux Ambassadeurs un numéro de « danseur provençal », pour lequel il est qualifié de « chanteur-danseur ». Mais les cachets de l’époque ne devaient pas suffire, et il exerce conjointement d’autres métiers dont celui de représentant de commerce, indiqué dans l’acte de son premier mariage en 1898. La même année, il figure dans l’Annuaire de l’Art lyrique et du Music-hall. Est-ce pour s’ouvrir de nouvelles portes qu’il se crée alors une identité nobiliaire, totalement fictive ?

Collection Nicole Jacques-Lefèvre

Il s’affirme pourtant comme fantaisiste polyvalent : cette même année 1898, il fait aux Folies-Bergères des débuts de « danseur comique », sera en janvier 1905 « compère » dans la revue du Nouveau-Cirque, et, dans les différents annuaires professionnels du début du XXe siècle, continuera à figurer comme « artiste de café-concert ».
C’est dans ces années que s’amorce l’aspect international de sa carrière, en même temps que se confirment ses talents d’imitateur : c’est ainsi qu’il sera défini en 1909, dans l’Annuaire du syndicat des artistes lyriques. Une affiche de Candido Aragones de Faria (1) réunit toutes ses caractéristiques.

Affiche de Candido Aragones de Faria (Source BNF Gallica)

Il part en tournée en Russie, (écho familial), et  en janvier 1907, « Daras l’imitateur » passe au Casino d’Alger, où il retourne en janvier 1908. L’Afrique du nord illustrée lui consacre alors un article élogieux, sinon totalement véridique, puisqu’il le fait naître à Paris.

L’Afrique du nord illustrée, 4 janvier 1908 (BNF Gallica)

Les tournées en question sont-elles toutes réelles ? Je n’en ai, à défaut de documents probants, aucune certitude. En revanche, après qu’il soit passé en juin 1910 au Kursaal de Dunkerque, l’Angleterre l’accueille bien en 1911-1912 pour un engagement de dix mois, où il passe entre autres à Bradford et Leeds, engagement qu’il renouvelle pour 1913-1914. Cette carrière anglaise ne l’empêche apparemment pas de continuer à exercer ses talents à Paris et en Europe : en février 1912, il passe à l’Étoile-Palace (avenue Wagram),

Le Matin, 26 janvier 1912

et le 30 mars au Marjal, rue Brochant. Un article parle alors d’ « imitateur et scènes », et évoque ses futures destinations, européennes et mondiales : « Anvers, ensuite Liège, Turin, Genève, Malo-les-Bains, Paris, Lille, Gand, tournée Côte d’Azur, retour Anvers, Liège, Bruxelles, retour Angleterre, 5e fois, avant départ Amérique, juillet 1913 ».
C’est lors de cette tournée américaine que, depuis Boston, il envoie une carte postale à son frère Ernest, mon arrière-grand-père.

Collection Nicole Jacques-Lefèvre

Le 22 mai 1914, de retour en France, il passe  à l’Empire.
La guerre porte sans doute un coup d’arrêt à sa carrière, mais on le retrouve encore en septembre et décembre 1926, puis en décembre 1927 et en mai 1929 en duo avec une certaine Georgette Leduc, dans un « sketch comique » au Petit Casino (12 bd Montmartre) et, le 10 juin 1927, en attraction au cinéma Rochechouart comme « imitateur comique ». Le passage au Louxor du 4 mai 1923 (il résidait alors 19 rue de la Nation, actuelle rue de Sofia, pas très loin du Louxor) fait donc partie d’une série moins glorieuse : il court le cachet. Avec un autre partenaire nommé Eddy, il est le 8 juillet 1932 à l’Alhambra dans un numéro de « fantaisistes acrobates », le 17 mars 1933 à Bobino comme « imitateur », enfin le 10 mai 1935 dans les attractions du cinéma Royal Monceau comme « fantaisiste ». Un Daras (mais est-ce bien lui ?) chante aussi sur Radio-Toulouse le 27 juillet 1935 « Ohé Achille » et « Salut Paris ».

Il va trouver une autre activité, en rapport cette fois avec le cinéma, puisqu’en 1927, lors d’un épisode assez peu glorieux que je vais évoquer, il est dit possesseur d’un magasin d’accessoires de cinéma, 52 Fg St-Martin, et qu’en 1937, lors de son second mariage, il se définit encore comme « courtier en films cinématographiques ».
Un courtier un peu spécial si l’on en croit les articles publiés en avril 1927 par la presse parisienne, et dont voici deux exemples :

Pour lire le texte, cliquer sur l’image

Le Petit Parisien, Paris Soir et Le Matin publièrent les mêmes informations. Le Matin ! Ce journal où travaillaient alors comme imprimeurs-typographes ses deux frères, Ernest et Albert, et son petit-neveu Alphonse Jacques, mon grand-père, qui avait épousé la fille d’Ernest. Ils ont dû relativement apprécier cette publicité !

Collection Nicole Jacques-Lefèvre. On voit au centre, derrière la voiture, le visage de son frère Albert portant casquette, et, debout à gauche, portant la grande ceinture, son petit-neveu Alphonse Jacques.

Ces ultimes mésaventures expliquent sans doute la relative discrétion qui régnait dans la famille à propos du personnage…
Mais il faut bien vivre, et c’est difficile, la vie d’artiste !

Collection Nicole Jacques-Lefèvre

La sienne prendra fin à Imphy (Nièvre), dans la maison de famille de sa femme, le 7 septembre 1966. Il avait 91 ans.
Salut l’artiste !

Nicole Jacques-Lefèvre © lesamisdulouxor.fr

J’exprime toute ma gratitude à Dominique Delord. Sans son érudition et sa générosité, je n’aurais jamais pu écrire cet article.

Note

1- Candido Aragones de Faria (1849-1911), dit Faria, artiste d’origine brésilienne, est l’auteur de nombreuses partitions et affiches de music-hall (Montehus, Dranem, Paulus…). Il fut, de 1902 à 1911, le principal créateur d’affiches pour Pathé.