Les ouvriers du chantier à l’honneur

Nouvelle exposition sur les palissades

Deux expositions de photos sur les palissades du chantier avaient permis aux passants de découvrir des vues anciennes de la salle et de la façade du cinéma. Place maintenant aux images d’un Louxor en pleine mutation, saisi pendant quelques semaines de l’hiver 2012 pendant les spectaculaires travaux de gros œuvre. Depuis le 28 septembre, en effet, de beaux diptyques de la photographe Virginie Laurent associent des vues du chantier et des portraits des compagnons qui y travaillent.

Nous avons rencontré Virginie Laurent pour qu’elle nous parle de la manière dont elle a abordé ce travail. Nous la remercions vivement de nous autoriser à publier ses photos.

©Virginie Laurent

Vous êtes photographe, diplômée de l’école des Beaux-Arts de Rennes ?
Oui, j’ai choisi la spécialité communication visuelle, mais l’école offre aussi des options design et art. Je me suis orientée vers la photographie, j’ai fait aussi, parallèlement, beaucoup de graphisme. J’aime rechercher des supports et des formats différents, créer des dispositifs divers. La scénographie, le support comptent autant, dans la compréhension de ce que je cherche à exprimer, que la photo en elle-même.

Aperçu de l’exposition côté Magenta

Vous avez photographié les Roms (projet Territoires émergents, du CRP Nord pas de Calais), ou encore, à Cherbourg, les clandestins qui tentent de gagner l’Angleterre ‒ des gens en situation de précarité ou de détresse : c’est un sujet qui vous tient particulièrement à cœur ?
Mais j’ai aussi photographié des religieuses (Bénédictines) ou animé des ateliers avec des détenus… En fait, je cherche surtout à aller à la rencontre de gens que je ne peux pas connaitre d’emblée, ou que l’on ne connait généralement qu’à travers des stéréotypes ou des a priori. J’essaie donc de casser ces a priori et ensuite, de transmettre ce que j’ai découvert. La restitution peut se faire sous des formes diverses : exposition ou édition.

©Virginie Laurent

Comment en êtes-vous venue au Louxor ?
C’est une commande de la Ville de Paris. Je fais partie de l’association Jeune création et j’ai participé à l’exposition qui s’est tenue au CENTQUATRE. Nathalie Viot, conseillère en art contemporain à la Ville de Paris, faisait partie du jury et avait repéré mon travail. Elle a donc pensé à moi pour le Louxor. La commande était au départ la réalisation de dix portraits d’ouvriers.
Quand avez-vous commencé ? Aviez-vous une idée précise de ce que vous alliez faire ?
J’ai commencé pendant l’hiver 2012. J’avais auparavant réfléchi à la manière d’aborder ce travail. J’avais en tête l’idée du cinéma : ces ouvriers ne travaillaient pas sur n’importe quel chantier ; ils construisaient un cinéma, c’est-à-dire un lieu dans lequel des fictions se vivent, où se crée en quelque sorte un univers parallèle. Tout en étant dans le concret, le manuel, le solide, ils construisent une machine à rêver. Je trouvais l’image belle et j’ai voulu jouer là-dessus.

©Virginie Laurent

 

 

Ce sont des portraits très vivants
Je voulais une image de l’ouvrier qui ne soit pas un stéréotype : la souffrance, le travail ingrat, etc. Je viens d’un milieu ouvrier et je suis sortie depuis longtemps de ces stéréotypes. La « souffrance au travail », elle peut être partout, pas seulement parmi les ouvriers. J’ai une image plus valorisante de ce métier ! Je voulais que l’on passe un bon moment ensemble ; la relation aux personnes que je photographie est très importante.
Comment avez-vous fait pour vous insérer dans un chantier, avec les gros engins de déblaiement, le bruit, la poussière, l’activité incessante ?
D’abord le fait d’être une femme m’a plutôt aidée. J’ai commencé par un temps glacial, il devait faire -15°, j’étais là avec mon matériel, j’avais les mains raidies par le froid, et j’étais perçue avec sympathie ! Ils me trouvaient courageuse… Il y avait d’ailleurs sur ce chantier une grande gentillesse, une très bonne ambiance, très positive.
Donc je me suis installée dans le décor, j’étais un peu comme un papillon libre qui se pose ici ou là. J’ai observé les gestes, la façon de se mouvoir.

©Virginie Laurent

Mais ce sont des photos posées ?
Oui, sauf les photos des gestes. Mais d’abord, j’ai observé. Je suis habituée à communiquer assez intuitivement avec les gens, pas nécessairement par la parole et d’ailleurs, j’ai travaillé parfois avec des populations que ne parlaient pas la même langue que moi. Je sens dans les gestes, dans les regards, si je vais pouvoir faire une image ‒ ou plus exactement si le rapport qui s’établit va permettre de faire une image. C’est une sorte de connivence qui se crée entre les deux personnes. C’est en fonction de notre rapport, de notre proximité plus ou moins grande, qu’on fera telle ou telle pose.
Pourquoi le choix des diptyques ?
L’idée est venue après coup. Au départ, la commande portait uniquement sur des portraits. J’en étais assez contente mais j’ai senti qu’on restait sur sa faim. Visuellement, en mettant les dix portraits bout à bout, il manquait quelque chose pour pouvoir y entrer : la profondeur. Par ailleurs, j’avais commencé à faire des photos de l’intérieur du bâtiment. On en était encore au stade du gros œuvre, vraiment dans les profondeurs du chantier, il y avait les lampes, la lumière qui changeait selon le moment où j’y étais. Je repérais les lieux avant de faire poser les gens et je faisais des essais avant de les faire venir.

©Virginie Laurent

D’où l’idée d’associer le lieu et les hommes ?
J’ai eu envie de me servir de cette idée de « décor », de mettre en scène les lumières du chantier. J’ai cherché à travailler sur la composition. D’un côté, le portrait : un personnage qui raconte une histoire ; et à côté, je pose le décor. J’ai voulu en faire des compositions graphiques en jouant sur la profondeur, sur un travail avec la lumière. Sur telle photo, par exemple, on aura une succession de plans. Ailleurs, on aura un plan qui s’avance. Ce qui m’intéresse ce sont les « lignes » du chantier, j’ai voulu les isoler.

©Virginie Laurent

Montrer la beauté d’un chantier ?
Oui, c’est quelque chose qui me fascine. Et j’ai un rapport très physique à l’espace. A un moment donné, les lignes s’équilibrent, je sais alors que c’est l’image que je veux faire.

©Virginie Laurent

Y a-t-il un lien entre l’endroit du chantier qui figure à gauche du diptyque et le portrait qui l’accompagne ?
Non. C’est la composition qui m’intéressait. Ce qui comptait, c’était que les lignes se répondent, que quelque chose apparaisse et qu’on ait au final une évocation du personnage.
Comment s’est faite la sélection des photos ?
J’ai fait une première sélection, puis un petit groupe s’est réuni auquel participaient notamment Philippe Pumain, Fanny Cohen et Nathalie Viot et nous avons sélectionné ensemble les dix diptyques.

Propos recueillis par Annie Musitelli ©lesamisdulouxor.fr