Entretien avec Philippe Pumain, 5e partie

Cet entretien avec l’architecte Philippe Pumain a été scindé en cinq articles. Lire aussi : 1. Les équipes 2. Le chantier et le calendrier 3. La mise aux normes 4. La restitution de la grande salle

Le façadisme et l’identité du Louxor – Palais du cinéma

Venons-en à la question du façadisme. Le Louxor, selon certains, serait « façadisé ».
De mon point de vue, ce n’est pas du façadisme, dans la mesure où le façadisme consiste à ne garder que les façades sur rue et à détruire tout ce qui se trouve à l’arrière des façades. Dans le cas du Louxor, nous conservons toutes les façades, les toitures et le plafond de la salle. On s’inscrit dans une enveloppe existante que l’on conserve ainsi qu’un certain nombre de structures : l’escalier principal, certains planchers (renforcés mais conservés) et le porche lui-même qui est déjà à l’intérieur du bâtiment.

Exemple de façadisme (10e arrondissement)

Exemple de façadisme (10e arrondissement)

Et ce n’est surtout pas du façadisme dans l’esprit. Le façadisme est un raisonnement de promoteur, une réponse à la demande des Monuments Historiques de conserver la façade. Ils gardent le strict minimum et font quelque chose qui n’a rien à voir avec le bâtiment d’origine. Nous, ce que nous refaisons à l’intérieur est complètement cohérent avec le bâtiment. La forme de la salle est conservée, tout le système de distribution est conservé et les dimensions de la grande salle ne sont que faiblement réduites. On ne met pas la salle à l’envers par rapport à ce qu’elle était, la volumétrie et la logique des circulations sont respectées.

Mais les balcons ? À cet endroit, vous reconstruisez à l’intérieur.
Je m’en suis expliqué : nous replaçons les balcons au même endroit, nous ne les supprimons pas. Quand on critique le façadisme, c’est parce qu’effectivement, souvent, il y a des alternatives. Des techniques existent aujourd’hui qui permettent de renforcer par exemple les planchers pour accepter les surcharges des bâtiments contemporains. Il est vrai que le façadisme est souvent une solution de facilité. On garde la façade, on refait tout en béton à l’intérieur et tout le monde est content. Ce n’est pas ce que nous faisons ! Le bâtiment garde son intégrité. Ce n’est pas le cas des projets que l’on a en tête lorsqu’on parle de façadisme.

Vous assumez le fait que la salle n’est pas « restaurée » mais « restituée » ?
Oui. Tout simplement parce qu’on ne peut pas faire autrement d’un point de vue technique. Sinon, nous l’aurions fait. Ce que nous faisons est plus compliqué et plus cher. Ce n’est donc pas pour le plaisir. C’est parce que l’on veut que le bâtiment vive qu’il faut faire la « boîte dans la boîte ». Je m’en suis expliqué précédemment.
D’ailleurs, même les architectes en chef des Monuments historiques font parfois des restitutions ! C’est une pratique courante, y compris dans des bâtiments historiques connus. Parce que parfois, là aussi, on peut difficilement faire autrement. Il y a des contraintes et vient un moment où le choix se fait en fonction des objectifs. Dans le cas du Louxor, l’objectif que s’est fixé la Ville est bien de faire vivre ce bâtiment qui participe également au renouveau de ce quartier.

Vous pensez donc que si on restaurait à l’identique la salle de 1920, on ne pourrait faire qu’un espace muséal ?
Absolument. Que propose-t-on en matière de programme alternatif si on se refuse à insonoriser au moyen de la « boîte dans la boîte » ? Une salle de cinéma muet ? En dehors du problème de l’exploitation d’un tel équipement et de sa viabilité économique, l’accompagnement traditionnel des films muets (orgue ou orchestre) serait beaucoup trop bruyant ! Une salle de concert ? Même problème. Des conférences ? A condition de ne pas trop applaudir … Reste en effet un programme muséal. Un musée du cinéma ? un musée dans cette très grande salle dotée de deux balcons ?…
De toutes façons, le problème de la consolidation se poserait et cette salle changerait nécessairement d’aspect. Et sans la boîte dans la boîte, les renforcements des structures seraient visibles (environ 50 cm d’épaisseur sur les parois de chaque côté de la salle).

En fait, le vrai choix n’était-il pas plutôt entre la restitution des décors et la création d’une salle résolument moderne ?
Évidemment je me suis posé la question. Cela dit, à partir du moment où le décor était connu et qu’il y avait une telle cohérence dans l’idée de l’architecte au moment du projet entre intérieur et extérieur, ce choix m’a semblé assez évident. Je ne dis pas que c’est la seule solution. On pourrait parfaitement imaginer une salle complètement moderne avec un autre décor, mais je trouve que c’est l’occasion de retrouver cette salle-là.
Quand j’interviens dans un bâtiment comme celui-là, admirable, j’ai envie de retrouver l’esprit dans lequel il a été construit. L’architecte Zipcy a vraiment pensé son projet avec une cohérence entre l’intérieur et l’extérieur. Et l’idée de retrouver cela me séduit. C’est aussi une forme de respect pour le confrère qui a fait le projet initial.

Ne pensez-vous pas que ce choix présente aussi un certain intérêt du point de vue de l’exploitation ?
Bien sûr. La Ville s’est donné les moyens d’en faire un cinéma qui marche. Potentiellement, le fait d’avoir trois salles, très bien équipées (projection numérique et argentique), confortables, aux normes de la CST (ce qui n’est le cas que de très peu de salles à Paris, y compris parmi les salles récentes), cela constitue déjà un atout énorme. La Ville veut faire les choses bien, elle s’en donne les moyens. Et je défends le fait qu’en plus ce ne soit pas une salle banalisée. Redonner une identité au Louxor sera un atout important pour la réussite du projet culturel. Ce sera, je l’espère, un lieu assez magique… qui aura été construit en 1921 et qui renaîtra en 2012.

Entretien réalisé le 17 février 2009 © LesAmis du Louxor