Entretien avec Philippe Pumain, 3e partie

Cet entretien avec l’architecte Philippe Pumain a été scindé en cinq articles. Lire aussi : 1. Les équipes 2. Le chantier et le calendrier  4. La restitution de la grande salle 5. Le « façadisme ».

3. La mise aux normes

Le problème crucial de l’insonorisation, la consolidation et l’accessibilité. Le choix de la «boîte dans la boîte».

Vous venez d’évoquer la «boîte dans la boîte». Pouvez-vous nous expliquer ce dont il s’agit exactement ?
Il s’agit d’une structure interne au bâtiment, qu’il faut mettre en place si on veut respecter les normes acoustiques. C’est un point assez technique et un peu compliqué d’autant qu’il y a deux aspects qui se superposent : l’acoustique et le structurel.
Nous partons de la boîte existante, celle qui est constituée des façades, de la toiture et des sols du bâtiment existant.
Le principe de la «boîte dans la boîte» est le suivant : il ne doit y avoir aucun contact à aucun endroit entre la paroi intérieure du futur cinéma dans lequel le bruit sera émis et la paroi existante. Et pour ce faire, il faut réaliser une structure autostable, autoporteuse sur les six côtés ( sol, murs, plafond) qui ne doit toucher la boîte existante en aucun point. C’est l’isolement du sol qui est le plus complexe : pour qu’il n’y ait pas de contact, on intercale entre le sol et les appuis, des boîtes à ressorts. On ne peut pas dire qu’il n’y aura aucun contact mais les ressorts amortissent la vibration. Ce sont des ressorts spéciaux, calculés par rapport à la « fréquence propre » de la structure et la vibration que va générer le bruit dans la salle, ce qui induit les caractéristiques de ces ressorts. Ils sont conçus pour que la vibration qui va résulter n’émette pas de bruit. C’est un problème de longueur d’ondes. Là, on entre dans un domaine très technique : l’acousticien fait les calculs et ensuite les fabricants des boîtes à ressorts, très spécialisés, vont calculer le type même de boîte, en fonction des masses que l’on va faire redescendre sur ces boîtes à ressorts et des vibrations que l’on va avoir. Il existe des centaines de types de boîtes à ressorts, adaptées à la masse et à la vibration.

Mais cette boîte ne va-t-elle pas beaucoup diminuer le volume de la grande salle ?
Parlons de cet « encombrement ». L’épaisseur s’explique de la façon suivante : nous avons dans le Louxor de grandes portées, une salle assez large, d’environ 14 mètres. Nous allons utiliser pour la boîte des profilés métalliques, plus simples à mettre en œuvre. Mais en raison de la grande portée, ils ont une certaine épaisseur. Par ailleurs nous sommes obligés de renforcer les parois existantes pour des problèmes structurels (de tenue au vent par exemple). Par conséquent les deux épaisseurs se cumulent, mais pas complètement. En effet, nous allons les intercaler. Nous ne mettrons pas les profilés l’un en face de l’autre, sinon nous aurions 1,20 mètre d’encombrement de part et d’autre. Nous allons les décaler. Il y aura tout de même un certain cumul car on est obligé de laisser du jeu. Cela explique les soixante centimètres environ d’encombrement de chaque côté de la «boîte dans la boîte» . Voilà la réponse sur la dimension même : la grande salle sera réduite d’environ 10%, pas davantage.

la salle : état actuel

la salle : état actuel

Nous avons ainsi une boîte dans la grande boîte : les ressorts sont posés sur les murs du sous-sol existant qui seront renforcés et repris en sous-œuvre. C’est à ce niveau-là qu’on vient les poser : ils vont y absorber la vibration. Donc aucune vibration ne sera transmise ensuite par les murs vers les voisins. La mise en œuvre doit être parfaite. Il faut s’assurer pendant le chantier que tout autour, sur les cinq autres faces, il n’y ait jamais un endroit de contact. Sinon, cela suffit pour que le travail fait soit, ne disons pas réduit à néant, mais compromis.

Dans ce système d’emboîtement, que deviennent les balcons ?
La question des balcons s’inscrit dans cette logique. Si la boîte était construite autour d’eux, ils continueraient à transmettre la vibration vers les logements voisins. Nous devons donc les couper et les refaire, solidaires de la boîte intérieure. C’est pourquoi les balcons d’origine seront démolis et les nouveaux balcons seront comme la boîte, en structure métallique. On nous avait demandé (et nous avons fait l’étude) d’envisager la conservation des balcons mais on arrivait à une solution absurde : nous aurions coupé les balcons sur trois côtés, nous les aurions suspendus (on ne sais trop comment) et raccrochés ensuite sur la nouvelle structure. Cela revenait à conserver pour le principe des balcons en béton beaucoup plus lourds, qui auraient posé d’autres problèmes, mais n’auraient plus été liés à la structure d’origine. Tout cela pour dire « nous avons gardé les balcons de 1920 », qui de surcroît n’étaient pas suffisamment résistants (il aurait fallu les renforcer) et n’avaient pas la bonne courbe de visibilité (il aurait fallu les « relever »). En plus, nous aurions dû modifier le petit arrondi qui fait la jonction avec les côtés de la salle : sinon, il serait arrivé « en sifflet » dans la nouvelle structure. Esthétiquement et techniquement, c’était aberrant. Au moment des études préalables, la DRAC avait demandé d’étudier cette solution de conservation, d’aller jusqu’au bout de la réflexion. C’est ce que nous avons fait et nous leur avons présenté la solution. Ils ont admis qu’il était absurde, compte tenu de ce que je viens de dire, de conserver les balcons, qui seront donc reconstruits.

Les deux petites salles du sous-sol feront-elles l’objet du même traitement ?
Les boîtes des salles du sous-sol sont beaucoup plus traditionnelles : on les utilise couramment dans les cinémas avec salles contiguës pour éviter la transmission du bruit d’une salle à l’autre. Il s’agira d’un système très classique aujourd’hui dans les salles de cinéma et les studios d’enregistrement, qui permet d’isoler d’une pièce à l’autre et qui ici isolera aussi par rapport aux voisins. La mise en œuvre dans ces petites salles est plus facile que dans la grande salle : on n’a pas les mêmes poids, pas de grande hauteur, ni de grande portée et pas de balcons à reprendre.

N’y avait-il pas d’autres moyens d’insonoriser ?

Proximité du métro

Proximité du métro | ©lesamisdulouxor.fr

Il n’y a malheureusement aucun autre moyen et la DRAC l’a bien compris. Certains ont parlé d’isoler « par l’extérieur ». D’abord, c’est absurde dans un bâtiment dont les façades sont classées : comment isoler « par l’extérieur » (en enlevant les mosaïques pour les reposer ?) C’est délirant. Mais même, admettons… Cela pourrait régler le bruit « aérien » par rapport au boulevard, mais cela résoudrait peut-être 10% du problème. Cela ne règlerait pas du tout le problème de la transmission « solidienne » par les planchers et les parois.
On a entendu « Il faut couper les structures par rapport aux voisins ». Il faudrait qu’on m’explique ! Faire passer une énorme scie circulaire qui créerait un joint entre le bâtiment et les voisins ? Le problème est que les structures sont les mêmes : les constructeurs du Louxor se sont appuyés sur les immeubles mitoyens. Peut-être, s’il y avait eu deux murs et qu’ils n’avaient pas fait de joint de dilatation, aurait-on pu, techniquement, le « concevoir ». Le réaliser, sans doute pas. Là, on ne peut même pas le concevoir puisque c’est la même structure.
Tous les projets futurs de salles de spectacle et de cinéma avec des logements mitoyens vont devoir intégrer le principe de la «boîte dans la boîte», le prévoir dès l’origine ; dès qu’ils réutiliseront des salles et des volumes existants, les maîtres d’ouvrage doivent savoir qu’ils auront cette contrainte. Cela a été fait récemment dans le 10e pour l’Alhambra.
Au moins trois acousticiens ont travaillé sur le sujet pour le Louxor : deux au niveau de l’étude préalable et le troisième qui travaille sur le projet. Les trois arrivent à la même conclusion : il n’y a pas d’autre solution.

Donc cette salle a fonctionné pendant des années avec des gênes considérables pour les voisins et le bruit de la rue dans la salle ?

Le Louxor est adossé aux immeubles mitoyens

Bien sûr. On entend la rue, les vibrations du métro, ce qui n’est plus acceptable par le public d’aujourd’hui. Pour ce qui est des films, c’était il y a longtemps, le son était a priori moins puissant, et la législation en la matière beaucoup moins drastique. Et surtout, entre temps, les boîtes de nuit ont causé de tels problèmes que, pour les voisins, la période du cinéma est presque devenue …

« L’âge d’or » ?
Oui, en quelque sorte… Mais je suis persuadé que les films posaient déjà problème parce que les procédés de doublages des parois, retrouvés dans la salle, datent du cinéma. Les boîtes de nuit avaient ajouté d’autres doublages dont les mesures effectuées ont démontré l’inefficacité. Il est certain que sans le système d’insonorisation que nous proposons, la situation sera impossible pour les voisins.

Vous avez évoqué aussi la consolidation du bâtiment qui en l’état ne pourrait accueillir du public. De quoi s’agit-il ?
Il faut consolider les façades par rapport au calcul de la résistance au vent, renforcer ce qu’on appelle « l’inertie des parois ». Dans l’absolu, c’est peut-être discutable dans la mesure où on applique les normes actuelles à des structures qui ont été montées avec les normes de l’époque. Et il est vrai qu’on a tendance à considérer que le béton et le fer de cette époque sont beaucoup moins résistants que ce qui se fait aujourd’hui. Ce n’est peut-être pas toujours le cas. Mais dans la mesure où un bureau de contrôle a écrit que la structure n’est pas résistante par rapport à des calculs d’aujourd’hui, ni le maître d’ouvrage ni le maître d’œuvre ne prendront le risque de ne pas se conformer aux normes.
C’est vrai pour les façades mais aussi pour les terrasses, par exemple pour les surcharges de neige (« les surcharges climatiques »).
Et cela concerne aussi toutes les structures intérieures. Les balcons seront reconstruits, donc le problème est résolu, mais la question se pose pour toutes les structures qui seront conservées : les planchers, par exemple, devront être renforcés. Par endroits aussi, le béton est très mince. A l’époque ils faisaient facilement des dalles de cinq ou six centimètres d’épaisseur. Aujourd’hui on ne le fait plus.

Et pourtant la salle accueillait beaucoup plus de monde !
Je parle ici plutôt des circulations. Dans la salle elle-même, la dalle est plus épaisse mais là encore, selon les normes d’aujourd’hui, elle ne serait pas censée résister. Les calculs ne sont pas faits forcément par rapport au nombre de spectateurs que le bâtiment va réellement accueillir. Dans une salle de spectacle, il faut 500 kg de résistance/m², c’est-à-dire six ou sept personnes / m²). Ce ne sera pas le cas mais il faut appliquer la norme. Certes, imaginons que l’on fasse entrer le public maintenant, le bâtiment ne va pas s’écrouler. On a tendance à surdimensionner, et en plus ce sont des moyennes mais il faut respecter les surcharges règlementaires. Voilà ce qui justifie ces « renforcements structurels ».
Et il faut aussi effectuer les renforcements au niveau des fondations. Là encore, le bâtiment n’a pas bougé. Mais même s’il n’y a pas de désordre constaté, nous nous devons de respecter les normes.

C’est le principe de précaution ?
C’est plus qu’un principe de précaution. À partir du moment où nous faisons les moindres travaux, nous sommes censés nous conformer aux normes d’aujourd’hui.

Avez-vous des contraintes propres à l’accès des personnes handicapées ?
Absolument. Il faut rendre le bâtiment accessible à tous. On va seulement solliciter une dérogation concernant les balcons. Les rendre accessibles serait extrêmement compliqué car ce sont des balcons en gradins. Un ascenseur accède à tous les paliers, donc la salle d’exposition et le bar, en étage, seront accessibles ; tout ce qui est de plain-pied le sera. Mais les balcons posent un problème spécifique : pour des raisons de courbe de visibilité, il y a déjà des marches entre le palier et les balcons. Il faudrait donc, en plus de l’ascenseur, ajouter un dispositif d’accès pour les handicapés, ce qui réduirait considérablement les places disponibles.
Les normes CST exigent que le spectateur puisse bien voir, de partout. Dans ce type de salle de cinéma, toutes les places sont aussi « bonnes » (ce qui n’est pas le cas au théâtre). Donc, dans la mesure où la qualité de visibilité est la même que l’on soit au parterre ou au balcon, nous pensons que la non-accessibilité des balcons aux personnes en fauteuil roulant est défendable.
À cette réserve près, les trois salles sont accessibles comme le bar et l’espace d’exposition. Et, bien entendu, des sanitaires pour handicapés sont prévus.

Mais il n’y a pas que les personnes en fauteuils ?
En effet. La salle doit être accessible à tous les types de handicaps. Donc elle sera accessible aux malvoyants et aux aveugles avec un système de guidage, une signalétique adaptée, des systèmes d’audiodescription qui vont se développer ; accessible aussi aux malentendants grâce à un système de boucle audio électromagnétique qui leur permet de brancher directement leur appareil sur la fréquence de la boucle et de recevoir le son directement dans leur appareil.

Toutes les salles doivent-elles maintenant intégrer cela ?
Toutes les salles ne le « doivent » pas mais la Ville de Paris a élaboré une « charte d’accessibilité pour tous » qu’elle nous a demandé de respecter. C’est ainsi également que toutes les écritures seront très lisibles à l’intention des enfants, mais aussi des personnes âgées.

Ce sera une sorte de « salle modèle » ?
Oui, et c’est pourquoi tout cela est un peu compliqué à mettre en œuvre.

Entretien réalisé le 17 février 2009 © LesAmis du Louxor