Quel traitement pour les décors peints du Louxor ?

Entretien avec Claire Bergeaud

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Claire Bergeaud

Les études préparatoires à la réhabilitation du Louxor ont permis de découvrir, sous les revêtements successifs, les restes des décors égyptiens peints en 1921 par le peintre Amédée Tiberti puis recouverts dans les années 30 par un décor néo-grec. Cette découverte posait des problèmes spécifiques en matière de conservation, restauration, restitution des  décors  dégagés. C’est  le domaine d’intervention de Claire Bergeaud, restauratrice de peinture, consultante en conservation préventive, co-fondatrice de l’agence Cartel Collections. Nous l’avons interrogée sur son métier, sur son rôle dans le chantier du Louxor et sur l’approche choisie par les équipes de restaurateurs vis-à-vis des décors peints à l’intérieur du bâtiment.

Pouvez-vous nous parler des activités de Cartel Collections ? Quelle est sa spécificité ?
Cartel Collections est une entité créée pour répondre à de nouveaux besoins, et notamment ceux des musées, mais aussi aux besoins qui se font jour dans le cas de chantiers de rénovation ou de création de nouveaux établissements. Cartel fait alors appel, dans son réseau d’intervenants, à ceux qui sont le mieux à même de répondre aux problèmes spécifiques du moment. Les domaines couverts concernent aussi bien le transport ou le stockage des œuvres que leur conservation, leur restauration ou encore la muséographie. Il s’agit donc d’une structure souple qui s’adapte aux différents projets sur lesquels elle est amenée à travailler.

Mais vous êtes vous-même restauratrice ? Quel est votre rôle au sein de Cartel que vous avez créé ?  Et exercez-vous encore votre activité première ?
Je suis restauratrice de peinture mais je cantonne maintenant cette activité au seul Musée Picasso avec lequel je travaille régulièrement  et j’ai développé parallèlement depuis 2000 une spécialisation en conservation préventive  des collections patrimoniales.
Au sein de Cartel Collections,  je propose éventuellement ma prestation si le projet le requiert, essentiellement dans les domaines du conseil et de la formation.
J’enseigne également et je suis d’ailleurs très attachée à la formation des personnels au sein des musées. Cette formation s’adresse à des personnels variés, y compris aux gardiens de musée, ce qui permet aussi de valoriser leur métier. Cette formation peut concerner les différentes activités liées à la conservation et à la gestion des collections, telles que le rangement dans les réserves, la manipulation des collections, leur emballage…etc.  Mais au sein de notre agence, des formations peuvent également être dispensées par  les collaborateurs de Cartel, spécialisés dans les différents matériaux qui composent les collections, art graphique, supports plastiques, mobilier…
J’ai aussi une activité importante à l’étranger. Après avoir travaillé à Doha entre 2007 et 2010  pour l’ouverture du musée d’art moderne MATHAF, je suis actuellement mobilisée sur un projet de longue haleine pour le Louvre d’Abou Dhabi (programmation des espaces, assistance à la muséographie, conservation des œuvres). L’intérêt est ici d’assurer le suivi d’un projet de bout en bout.

Louxor : Découverte d'un décor préservé caché dans le faux-plafond du 1er balcon

Photo C. Bergeaud :  Découverte d’un décor préservé caché dans le faux-plafond du 1er balcon du Louxor

Venons-en au chantier du Louxor : nous aimerions comprendre comment s’organise  le travail patrimonial. Qui fait quoi ? Par exemple, vous n’intervenez pas sur la façade ?
Tout ce qui concerne la façade (inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques) relève des architectes du patrimoine, en l’occurrence Christian Laporte.
En revanche, les décors intérieurs, non classés, ne sont pas suivis au titre des Monuments Historiques. L’équipe chargée de la restauration des décors peints a été choisie sur appel à concurrence dans le cadre du marché public établi par la Ville de Paris et d’après un cahier des charges rédigé par notre équipe. Je suis accompagnée dans ma réflexion sur la conservation des décors par Franzceska Hourrière, spécialiste de peintures murales. Nous nous occupons des décors peints à l’intérieur du bâtiment (hall et grande salle, porche, dégagements).
Pour ce qui concerne ces décors, notre approche est la suivante : tous les décors seront conservés. Certains ne seront pas visibles, ils ont été consolidés et seront restitués le plus fidèlement possible. Lorsqu’ils pourront  rester visibles, leur restauration sera la plus respectueuse de leur intégrité et tendra à conserver les patines et un certain degré de “vécu”, tout en restituant la lisibilité des motifs.

Comment avez-vous abordé votre intervention sur la grande salle : comment fallait-il la traiter ?
Dans le cas des peintures de la grande salle (réalisées à l’origine au pochoir), il s’agira de restitution puisque les décors originaux seront cachés, mais la totalité des motifs étant identifiés tant dans leurs formes que dans leur couleur, cette restitution sera très fidèle à l’original.
De toute façon il s’agira d’une restitution de qualité qui sera exécutée par une équipe de restaurateurs. On peut se féliciter du choix qui a été fait : l’équipe retenue, celle de Laurent Blaize, travaillera à la restitution des décors avec un regard de restaurateurs, un regard artistique.

Photo de la grande salle avec différents sondages de dégagements des décors. On note la succession des couches qui recouvrent le décor de 1920: moquette rouge à droite, miroir, peinture noire et un nouveau décor datant de 1930.

Photo C. Bergeaud : vue de la grande salle avec différents sondages de dégagements des décors. On note la succession des couches qui recouvrent le décor de 1920: moquette rouge à droite, miroir, peinture noire et un nouveau décor datant de 1930.

Une première étude sur les décors a été effectuée en 2007  à laquelle nous avons demandé un complément dès l’attribution du projet à Philippe Pumain afin de disposer d’éléments permettant d’évaluer leur état et comment les conserver.
Il a fallu faire des choix sur la manière d’aborder le travail ; il est vite apparu illusoire de vouloir tout dégager. Le dégagement des peintures d’origine sous les couches superposées de revêtements divers (crépi noir, moquette, miroirs collés…) aurait dû se faire centimètre par centimètre. Sur une telle surface, c’était irréaliste et les coûts faramineux. D’autant qu’il s’agit de peintures au pochoir dont les motifs se répètent.
De même le plafond n’a pas pu être dégagé totalement car il partait en morceaux.
Notre première décision a été de dégager des zones tests, d’en relever les motifs, de prendre des échantillons de couleurs pour établir un inventaire exhaustif  et reproductible des décors et pour définir ce qui pourrait être envisageable ou pas pour leur conservation et leur restauration. Nous avons eu également d’agréables surprises, la découverte de fragments de décors originaux cachés par des cloisons, et en parfait état.

Et tout sera conservé ?
Oui. Notre approche vis-à-vis des décors peints a été de conserver les décors dans leur totalité (sauf de rares exceptions), de les documenter, et de les valoriser chaque fois que les solutions techniques et spatiales le permettent, ou, à défaut, de les reproduire à l’identique.  La seule incertitude que nous ayons concerne les hiéroglyphes, car nous n’avons pu dégager toutes les poutres.
Les décors de la grande salle sont donc toujours là mais non visibles  et conservés derrière les cloisons acoustiques. De cette façon, les générations futures auront la possibilité de les dégager si l’histoire le réclame.
Les décors peints et les bas-reliefs du porche et du hall d’entrée seront restaurés et visibles, comme toutes les peintures décoratives des escaliers et  des dégagements.

Dégagement des décors du porche

Photo C. Bergeaud : Dégagement des décors du porche

Il y a donc aussi certains décors sculptés  ?
Oui. Dans le porche et le hall d’entrée, mais  il s’agit plutôt de bas-reliefs peints (scène agricole, déesse Tefnout et tête pharaonique) qui posent des problèmes spécifiques de restauration (et de restitution pour les secteurs les plus abimés). Ces interventions se veulent les plus légères possibles, de façon que tous les éléments de patine puissent être conservés, mais leur état  de conservation nécessitera une consolidation des reliefs et une restitution des parties manquantes.
L’enjeu de la rénovation du Louxor sera de respecter une harmonie entre le hall qui fera l’objet d’une restauration légère et l’intérieur qui ne doit pas présenter un trop fort contraste.

Quel sera le déroulement des opérations ?
Pour la conduite de cette opération, on distingue trois grandes phases:
– Une phase d’étude préalable conduite par l’entreprise Quélin qui avait commencé en 2007, avant l’attribution à l’équipe de Philippe Pumain de l’opération de maîtrise d’œuvre et qui s’est poursuivie pendant l’année 2008, à notre demande, pour des compléments d’informations.
– Une phase de consolidation et de dégagement des décors qui a été réalisée durant 2009-2010 par l’entreprise Eshlimann à la suite d’un marché public.
– Une phase de restitution et de restauration qui commencera au printemps-été 2012 et qui se déroulera jusqu’à la réouverture du Louxor et dont la réalisation est confiée, à la suite de l’attribution d’un marché public à une équipe de restaurateurs autour de Laurent Blaise.

Nous remercions Claire Bergeaud de nous avoir accordé cet entretien et de nous autoriser à publier ses photos.

Propos recueillis par Jean-Marcel Humbert et Annie Musitelli

©lesamisdulouxor.fr