Amédée Tiberti (1883-1978), peintre décorateur

Voilà qu’une trouvaille inespérée est venue enrichir notre collection d’archives sur l’histoire et la construction du Louxor. Paul Marchio, collectionneur de cartes postales anciennes, nous a signalé qu’il avait trouvé dans une brocante à Antibes une carte-photo montrant trois hommes et un enfant devant la porte-cochère de l’atelier d’Amédée Tiberti, le peintre qui réalisa en 1921 les décors au pochoir du porche et de la salle du Louxor. Nous avons aussi trouvé récemment des précisions sur certains aspects de son activité, ce qui nous incite donc à publier une nouvelle version d’un premier article paru en 2012.

La photo a été prise devant le 16 rue Lally Tollendal, dans le XIXe arrondissement de Paris, rue de petits immeubles de quatre étages d’habitations ouvrières avec des cours occupées par des ateliers, dont la porte de ce numéro 16 est restée miraculeusement conservée intacte jusqu’à aujourd’hui, avec son décor de fonte à claire-voie.


Dans les années 1900, la carte postale illustrée d’une photographie qui en occupe le recto – que celle-ci soit tramée ou tirée sur papier photographique –, prend véritablement son essor. C’est alors que des photographes proposent aux commerçants et artisans de les photographier devant leur local professionnel, avec autour d’eux leurs collaborateurs. La carte, qui sera conservée comme souvenir, ou utilisée comme publicité, montre souvent la famille entière qui pose devant la boutique. Dans le cas présent, ce sont trois ouvriers, un enfant et un chien, qui posent sous la pancarte annonçant le nom et les spécialités de Tiberti. Les vêtements correspondent tout à fait au début des années 20, et si l’on considère que Tiberti, à l’époque, est âgé de 38 ans, il ne peut donc s’agir que du personnage de gauche, le plus âgé des trois. Il sera difficile d’en savoir plus…
La pancarte, au-dessus de la porte cochère, est également intéressante. Tout à fait dans le style de l’époque, quoique simple, elle confirme le numéro de la rue, le « 16 », ainsi que les spécialités du peintre. L’Annuaire du commerce Didot-Bottin de 1923 (voir l’illustration ci-dessous) indique la grande variété des savoir-faire de la société : « Décoration, Lettres, Dorure, Filages, Tentures, Maquettes, Projets, devis, Dessins, exécution, Patinage genre ancien, Décoration sous verre ».


Le panneau du n° 16, avec quelques variantes, indique d’une manière moins détaillée : « Peinture – Décoration » qui montre bien que la société ne faisait pas que de la peinture en bâtiment, et « Filage, Attributs [c’est-à-dire les plaques professionnelles, par exemple pour les notaires, médecins ou autres], dorures [très utilisées alors pour le lettrage sous verre des boutiques, boulangeries et autres], ornements ». On conçoit tout l’intérêt, pour le chantier du Louxor, d’avoir bénéficié d’artisans capables de répondre à un peu tous les types de décors à réaliser, et qui plus est avec les compétences italiennes, reconnues pour être les meilleures dans le domaine, notamment pour la réalisation de faux-marbres et d’imitation de l’antique. Et lorsque l’on sait ce qu’était la richesse architecturale de sa ville natale, L’Aquila, ses rues bordées de palais, ses églises, on peut se dire qu’Amédée Tiberti avait été à bonne école !
Nous pouvons donc enfin, avec une quasi-certitude, mettre un visage sur le nom d’un personnage que nous avions eu tant de mal à retrouver ! Si le nom de l’architecte Henry Zipcy fut longtemps déformé en Ripey, celui d’Amédée Tiberti, cité à l’origine dans la presse en tant que Tiberti (Le Rappel, 6 octobre 1921) ou Tibérty (Bonsoir, vendredi 7 octobre 1921, nom rectifié en Tiberti le dimanche 9 octobre…), a été transformé en Tibéri dans des articles parus dans les années 1980. Pour une raison restée mystérieuse, c’est ce dernier nom qui a survécu, jetant les historiens sur une fausse piste, dont on retrouve la trace même sur la Base Mérimée (base de données du patrimoine monumental et architectural français), censée faire autorité. D’où de longues et vaines recherches que nous avons à notre tour menées à la poursuite de ce mystérieux M. Tibéri.

Le Rappel, 6 octobre 1921, témoigne de l’admiration que suscita « la nouvelle et somptueuse Salle Louxor » lors de son inauguration.

Pour clarifier ce point, notre trésorière et historienne, Marie-France Auzépy, partit donc à la recherche d’un Amédée Tiberty ou Tiberti décorateur, et c’est aux Archives de la Seine qu’elle finit par le découvrir.


Le registre analytique du Tribunal de commerce de 1921 nous apprend qu’Amédée Tiberti est né le 16 juillet 1883, à L’Aquila, en Italie et a fondé son entreprise le 11 mars 1921, soit quelques mois avant l’ouverture du Louxor.
On peut supposer qu’un chantier d’une telle ampleur était une aubaine et un beau défi artistique pour cette jeune entreprise à l’activité diversifiée qui allait ainsi pouvoir réaliser aussi bien les peintures au pochoir sur les murs que celles des hiéroglyphes sur les poutres du plafond ou encore les inscriptions LOUXOR figurant au-dessus des entrées principales.
Amédée Tiberti était marié à Jeanne Monaco, née le 24 juin 1881 à Raiano, Italie, et décédée à Paris le 22 mai1966. La date de leur arrivée en France nous est inconnue. Il a été naturalisé en juin 1928. (Journal Officiel, 1er juillet 1928) et est inscrit sur les listes électorales dès 1930.

Naturalisation (J.O.1928-07-01) et inscription liste électorale en 1930 (Archives numérisées)


Il s’avère que l’entreprise d’Amédée Tiberti a eu une activité très soutenue, au moins jusqu’à la fin des années 1950. Le Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris en témoigne.
Entre 1935 et jusqu’à la fin de l’année 1958, le nom de Tiberti apparaît régulièrement dans les résultats d’adjudication. L’entreprise est proposée comme délégataire pour effectuer des travaux sur des bâtiments publics. Tiberti est notamment chargé de nombreux chantiers : écoles parisiennes, travaux de « peinture, tenture et vitrerie » lors de la construction d’un pavillon du personnel à la maison maternelle de Châtillon-sous-Bagneux. Après la guerre, il est de nouveau délégataire pour de nombreuses interventions qui vont de l’Hôpital psychiatrique de Villejuif en 1950 aux Bains douches du stade nautique des Tourelles, ou au Laboratoire d’hygiène, 1 bis rue des Hospitalières Saint Gervais.
Nous perdons la trace de ses activités à partir de décembre 1958. Mais il a alors 75 ans !

Quelques exemples d’adjudications de 1935 à 1958. On note le changement d’adresse de l’entreprise du n°16 au n°12 de la rue Lally Tollendal.


L’entreprise n’est cependant définitivement radiée pour cessation d’activité que le 29 septembre 1967, comme en atteste le registre du commerce de cette année qui précise que le déclarant est le « propriétaire exploitant ».

Amédée Tiberti sera toute sa vie fidèle à la rue Lally-Tollendal. Les bulletins municipaux et le registre du commerce et des sociétés montrent que l’entreprise – ou au moins son siège social – se déplaça simplement du n° 16 au n° 12 (où se dresse actuellement un immeuble moderne). Cette adresse sera également celle du domicile des époux Tiberti, comme le montrent leurs actes de décès (Archives numérisées de la Seine).

La rue Lally Tollendal avec au premier plan l’immeuble moderne du n° 12


Amédée Tiberti décède le 27 avril 1978 à l’âge de 95 ans.

A l’occasion de la réhabilitation du Louxor, les décors peints par Amédée Tiberti ont été restaurés ou restitués en appliquant la technique du pochoir initialement employée. On lira à ce sujet l’interview du peintre Jean de Seynes qui faisait partie de l’équipe des restaurateurs et peintres décorateurs et que nous avions rencontré en novembre 2012.

Jean-Marcel Humbert et Annie Musitelli