Marius Kowalski, chef d’orchestre du Louxor

Qui se souvient des chefs d’orchestre des cinémas des années 1920 et 1930 ? A quelques exceptions près — comme Paul Fosse, directeur musical du grandiose Gaumont Palace, ou Lucien Rémond, chargé de la direction d’orchestre du Louxor et des arrangements pour l’inauguration et les séances qui suivirent  —, ces artistes qui assuraient l’animation musicale des séances, et dont certains étaient également compositeurs, sont un peu les oubliés de l’histoire. Pourtant, l’orchestre constituait un atout majeur pour les salles qui, comme le Louxor, avaient la chance d’en disposer.
L’un des premiers chefs d’orchestre du Louxor fut Marius Kowalski (1886-1963).

Les archives familiales que son petit-neveu, Christophe Leroy, nous a aimablement communiquées, permettent de mettre un visage et une histoire sur ce qui n’était qu’un nom découvert dans des programmes du Louxor des années 20. Autres trouvailles, les photos dédicacées par certains des artistes de variétés, témoignages de sympathie et d’amitié pour un chef d’orchestre très apprécié, font revivre certains de ceux qui se sont produits sur la scène du Louxor. Un prochain article sera consacré à ces attractions qui étaient alors partie intégrante des soirées de cinéma.

Marius Kowalski (1886-1963)

Marius Kowalski (1886-1963)

Marius Kowalski : une vie dédiée à la musique et au spectacle

Marius Kowalski est né à Paris en 1886. Son arrière-grand-père, Léon Jean Joseph Kowalski, né en 1810 dans le Palatinat de Cracovie, avait fui la Pologne après l’insurrection de 1830 et, comme beaucoup de ses compatriotes, s’était réfugié en France et s’y établit. Il meurt à Arles en 1888.
Musicien précoce, élevé dans une famille mélomane, Marius jouait de plusieurs instruments (piano, flûte traversière, violon).

Marius enfant, avec sa sœur Jeanne

Marius enfant, avec sa sœur Jeanne

Après ses études au Conservatoire de musique de Paris, il embrasse très jeune une carrière musicale, et apparaît entre 1903 et 1909 comme flûtiste à la rubrique « artistes exécutants et professeurs » de l’Annuaire des artistes et de l’enseignement dramatique et musical. Quand arrive la Guerre de 1914-1918, Marius est mobilisé. Il participe notamment, du 15 juillet 1916 au 24 mai 1917, aux terribles batailles de Verdun dans le 289e régiment d’infanterie et sera décoré de la Croix de guerre. Mais, même sous l’uniforme, il n’abandonne pas ses instruments : il fait partie d’un orchestre. Sur la photo ci-dessous, il est au premier plan à gauche, la flûte posée sur le genou. (Clic sur l’image pour l’agrandir)

Orchestre militaire, Marius Kowalski, au premier plan à gauche

Orchestre militaire, Marius Kowalski, au premier plan à gauche

Sa carrière : chef d’orchestre et compositeur

Si l’on en juge par les nombreux programmes conservés dans ses archives, Marius Kowalski a mené de front les activités de musicien et de compositeur. Très jeune – dès 1904 – il dirige diverses formations et compose pour des spectacles et des concerts. Ses œuvres (1), notamment sa Marche Saint-Cyrienne, visiblement très populaire, figurent régulièrement, et pendant des années, au programme des nombreux concerts publics qui avaient lieu dans les parcs et jardins de la capitale et étaient annoncés dans les quotidiens.

Ma %arche Saint-Curienne au programme des concerts publics

Marche Saint-Cyrienne au programme des concerts publics (gallica.bnf.fr)

Puis, lorsque se développeront les concerts radiophoniques, ses compositions aux titres joliment surannés (Délicieux Ramage, Roxelane, Sérénade mystérieuse, Phryné, « marche solennelle », Temps passés, Gavotte de la Marquise…) se retrouvent dans les programmes de la « T.S.F. ».

Programmes des concerts (L'Intransigeant- Le Gaulois)

Programmes des concerts : Le Gaulois – L’Intransigeant (gallica.bnf.fr)

Un musicien aux multiples facettes

On est d’abord frappé par son éclectisme. Doté d’une sérieuse formation classique, il aime toucher à tous les genres, sans a priori : musique classique, musique légère, airs de music-hall, et s’il a composé nombre de « mélodies », « petites valses », « rêveries », « marches », il aime aussi les airs à la mode et le music-hall et compose même, dans sa jeunesse, des « chansonnettes comiques » aux titres évocateurs (Visite à l’expo coloniale, L’trala itout, Marius au harem !, etc.).

Deux partitions de Marius Kowalski conservées à la Bibliothèque nationale de France L’tralala itout (1909) et Les Deux étoiles, rêverie (1910)

Deux partitions de Marius Kowalski conservées à la Bibliothèque nationale de France : L’tralala itout (1909) et Les Deux étoiles, rêverie (1910)

Pendant ces « années folles », on découvre de nouvelles danses – et de nouveaux rythmes : Kowalski compose lui aussi des fox trot (La séduisante odalisque,« fox trot pour orchestre et piano », 1927) et autres « danses anglaises » (Lady Moon, 1922).
Ce mélange des genres reflétait d’ailleurs la composition des programmes de l’époque. Par exemple en 1919, à l’occasion de la Fête générale de l’Orphelinat des Chemin de fer français, Kowalski compose la musique d’un poème musical Honneur aux Orphelins, qui se retrouve dans un programme des plus éclectique, qui proposait tout à la fois musique classique, attractions (comique troupier, équilibristes etc.) et même un bref intermède cinématographique « Cinématographie-Palace : vues animées ».

Etoile Palace, 3 avril 1909

Etoile Palace, 3 avril 1909 – Coll. Christophe Leroy

Les lieux où se produit Kowalski

Dès les premières années du XXe siècle, Kowalski est un habitué des après-midis et soirées musicales de certains lieux de divertissement populaire. Et souvent (mais pas exclusivement) dans un territoire auquel il restera lié : l’actuel département du Val de Marne. C’est d’ailleurs à Saint-Maurice, 29, rue Neuve-Gabrielle, qu’il habite au moins dès 1903 dans un petit immeuble de trois étages (c’est l’adresse qui figure, entre 1903 et 1909 dans l’Annuaire des artistes et de l’enseignement dramatique et musical). La rue se voit attribuer par la suite le nom du vétérinaire Edmond Nocard, sans que l’on observe de changement de numérotation (c’est l’adresse qui figure sur sa carte d’identité Pathé Cinéma datée du 4 juin 1931).
En 1905 il se produit dans un café-concert (dont la belle architecture Art Nouveau est l’œuvre de Georges Guyon), la Brasserie Paul à Saint-Maurice, pour un concert symphonique au cours duquel Kowalski dirige l’orchestre (conjointement à M. d’Albert) dans un programme qui comporte un morceau avec solo de flûte par Marius Kowalski (Marche japonaise) et un morceau de sa composition, Marche andalouse.

Brasserie Paul, L'architecture usuelle, n° 21, 1905

Brasserie Paul, L’Architecture usuelle, n° 21, 1905

On  le retrouve aussi au Casino des Fleurs d’Alfortville où, le dimanche 7 novembre 1909, il dirige l’orchestre du Cercle symphonique lors du grand concert de réouverture de la saison 1909-1910, ou au Chalet du Lac de Saint-Mandé (« cet admirable site, cet Eden nouveau devenu le rendez-vous consacré des familles, où les enfants comme les oiseaux prennent leurs joyeux ébats sans craindre le danger… » comme le dit le programme !).

Carte postale ancienne : chalet du Lac de Saint-Mandé

Carte postale ancienne : Chalet du Lac de Saint-Mandé

Kowalski est aussi un habitué du Casino du Pont de Charenton (ville de Saint-Maurice). Ses œuvres y sont régulièrement jouées lors des « concerts-apéritifs » du dimanche après-midi et il participe à de nombreuses manifestations artistiques qui associent musique classique, musique légère, numéros de music-hall et théâtre.
Par exemple, le mardi 3 avril 1906 il participe à la Soirée de gala au profit des victimes de Courrières [la catastrophe minière de Courrières s’est produite, le samedi 10 mars 1906 et a fait officiellement 1 099 morts] dont le programme (deux pièces en un acte précédées d’une première partie qui associe chanteurs et artistes de music-hall) sera animé par un « brillant orchestre sous l’habile direction de M. Marius Kowalski, élève du conservatoire de Paris ».

Programmes (concert-apéritif 1er déc.1907 et soirée 3 avril 1906)

Programmes (concert-apéritif 1er déc.1907 et soirée 3 avril 1906)- Coll. Christophe Leroy

Toujours au Casino, quelques mois plus tard, lors d’une grande soirée en trois parties (musique, vaudeville, revue), Kowalski dirige l’orchestre et ses compositions figurent en bonne place au programme. Il est également chargé des arrangements musicaux du vaudeville donné en 2e partie, la revue « Ça va barder… » (« en deux actes et trois tableaux »).

Casino de Charenton 11 décembre 1906

Casino de Charenton 11 décembre 1906 – Coll. Christophe Leroy

Visiblement à l’aise au music-hall, le 16 octobre 1913, Marius Kowalski dirige l’orchestre à l’occasion de la « revue vétérinaire » des étudiants de l’Ecole vétérinaire d’Alfortville, Viens…Rigole… e.v.a ! soirée offerte par les « Praticiens, Plumasseaux, Barbares, aux Jeunes Volailles Alforiennes à l’occasion de leur entrée dans le monde vétérinaire ». Deux morceaux de sa composition sont d’ailleurs inscrits au programme.

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Programme 1913 – Coll. Christophe Leroy

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Programme 1913 – Coll. Christophe Leroy

Du music-hall au cinéma

Après la Guerre de 1914-1918, nous le découvrons à la tête de l’orchestre du Louxor pendant les années 20. Si la guerre avait mis un coup d’arrêt à la construction de cinémas, les années qui suivent vont au contraire voir fleurir les salles dans tous les quartiers de Paris et le cinéma devient un loisir populaire très prisé – sans pour autant s’opposer au music-hall, bien au contraire. Il n’est pas surprenant que Marius Kowalski, déjà très bien introduit dans le milieu du spectacle, ait trouvé sa place dans ce nouveau domaine en pleine expansion.  Lorsqu’il dirige l’orchestre du Louxor, il a déjà à son actif une longue expérience.  Ce cinéma était alors une   des très belles salles de quartier, qui programmait les films les plus récents et accueillait sur scène, pendant les intermèdes, des artistes de variétés connus (Yvette Guilbert, Suzanne Valroger, Vorelli, Eugénie Buffet etc.). Le rôle du chef d’orchestre était donc essentiel : il ouvrait la séance par un ou deux morceaux de musique, puis pendant la projection, il accompagnait les films muets mais devait aussi lors des attractions, « soutenir » les artistes pendant leurs numéros et offrir parfois aussi des intermèdes musicaux pour ponctuer la séance entre les films. Rappelons deux exemples de programmes des années 20 déjà présentés en détails sur notre site (semaines du 14 au 20 septembre 1923 et du 12 au 18 septembre 1924), déjà présentés dans deux articles sur notre site :

Programmes du Louxor 1923 et 1924

Programmes du Louxor, 1923 (BHVP) et 1924 ( Coll. M. et Mme Guérin)

Mais le Louxor n’est qu’une des salles où se produit Kowalski. Cette photographie le montre ainsi en compagnie d’une artiste devant le cinéma Lutetia-Wagram, très belle salle à deux balcons, dotée d’un orchestre d’une vingtaine de musiciens (2).

Kowalski devant le cinéma Lutetia

Kowalski devant le cinéma Lutetia

Le nom de Marius Kowalski figure en bonne place comme chef d’orchestre sur des programmes de Bobino datant du début des années 30.

Hommage àGeorges Vorelli (Bobino 1933)

Hommage à Georges Vorelli (Bobino, 1933) – Coll. Christophe Leroy

Un article de L’Intransigeant du 3 octobre 1931 mentionne la présence de Marius Kowalski à la tête de l’orchestre qui ce soir-là, entre numéros d’acrobatie, « chansons réalistes » et les « Entourloupettes » de M. Sathel « diseur », dirigeait l’Ouverture du Barbier de Séville !

L'Intransigeant, 3 oct. 1931.

L’Intransigeant, 3 oct. 1931. (gallica.bnf.fr)

Il n’est pas étonnant, comme nous l’a confirmé l’historien du cinéma Jean-Jacques Meusy,  que Kowalski ait été chef d’orchestre de Bobino et, peut-être, du Lutetia Wagram comme pourrait le suggérer la photo prise devant cette salle. La Société Pathé (précisément Pathé Natan après l’arrivée de Bernard Natan à la tête de Pathé en 1929) avait acheté les salles du réseau Lutetia Fournier, parmi lesquelles le Louxor, le Lutetia et Bobino. La « carte d’identité Pathé » de Marius Kowalski (signée le 4 juin 1931) indique qu’il fait partie du « service de la programmation » de la firme Pathé qui avait un service central de la musique. Comme d’autres chefs d’orchestre du groupe Pathé, Kowalski devait circuler d’une salle à l’autre selon les besoins. Cette pratique est confirmée par une lettre adressée en 1930 par le directeur de la musique de Pathé, Fernand Heurteur, à ses chefs d’orchestre, leur donnant leur « feuille de route ». Marius Kowalski est ainsi affecté pendant la semaine du 27 juin au cinéma Pathé Orléans.

Lettre du directeur d ela musique de Pathé à M. Kowalski (25 juin 1930)

Lettre du directeur de la musique de Pathé à M. Kowalski (25 juin 1930)

Cette activité dans les salles du groupe Pathé montre d’ailleurs que les attractions et les animations musicales n’avaient pas totalement disparu avec l’arrivée du cinéma parlant. On peut cependant penser que leur attrait diminue considérablement pour le public : il est significatif que dès les années 30, les programmes annoncés dans les journaux (y compris La Semaine à Paris ou Comœdia) mentionnent seulement les films de la soirée mais passent sous silence le reste du programme.

Marius Kowalski s’éloigne ensuite du cinéma et du music-hall. Il dirige dans les années 50 la Musique municipale de Vincennes et retrouve un répertoire plus classique. Les programmes témoignent que jusqu’à la fin de sa vie, il participa activement à la vie musicale de la ville. Le 31 mars 1963, il dirigeait encore l’orchestre lors du grand concert annuel donné dans la salle des Fêtes de la mairie.

Vincennes: les dernières années

à gauche : un programme de 1953, Coll. Christophe Leroy – à droite : Bulletin municipal de la ville de Vincennes, 1963 : Coll. Mme Etasse

Marius Kowalski fut un artiste qui, pendant toute sa carrière, sut mettre à la portée d’un vaste public, en des lieux variés et aussi populaires que l’étaient alors les cinémas ou les music-halls, des œuvres musicales – musique dite « légère » ou classique –  de qualité.

Il décède le 6 juin 1963 et repose au cimetière de Saint-Maurice. En annonçant sa disparition, le journal municipal de Vincennes saluait un artiste qui « avait consacré toute sa vie à l’art musical » et laissait « le souvenir d’un musicien de grand talent et d’un homme de cœur ».

Annie Musitelli © Les Amis du Louxor
Nous remercions Christophe Leroy de nous avoir communiqué de nombreux documents provenant de ses archives familiales. Merci également à Madeleine Etasse, présidente de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Charenton et de Saint-Maurice, pour son aide et son accueil chaleureux.

Notes
1- Une trentaine de ses œuvres figure au catalogue de la BNF mais elles sont certainement plus nombreuses. Par ailleurs, l’examen de ses archives familiales n’est pas terminé.
Une partition Lutèce. Marche nuptiale se trouve à la bibliothèque du Conservatoire royal de Liège.
Deux partitions sont accessibles sur la base Gallica de la BNF : Les deux Etoiles
et L’Tralala Itout
2- Jean-Jacques Meusy, Paris Palaces ou le temps des cinémas (1894-1918), Paris, CNRS Éditions, 1995, p.297-299