À la fin des années 20, le cinéma parlant fait son apparition et va peu à peu s’imposer, incitant les exploitants à transformer leurs salles. Le Louxor n’échappe pas à la règle.
Dans les années 30, Pathé fait de grands travaux, et recouvre en particulier le décor néo-égyptien de la salle par un décor néo-grec . C’est certainement à cette occasion que fut établi un état des lieux très complet du bâtiment du Louxor, que nous avons pu consulter dans les fonds Pathé.
Cette estimation avant travaux, établie le 2 octobre 1931, qui note aussi bien les surfaces que les matériaux, les structures que le mobilier, leur prix et leur coefficient de dégradation, permet de se faire une idée assez juste de ce qu’était alors le Louxor.
Si les façades du bâtiment ont été dégradées depuis, elles sont préservées et la description extérieure est donc sans surprise. En revanche, on découvre bien des détails intéressants sur la disposition des lieux et la décoration intérieure.
Nous vous invitons donc à visiter le Louxor tel que vous ne l’avez jamais vu.
Dès l’entrée, le ton est donné : le Louxor était un cinéma luxueux : « Plafond à gorge. Colonnes en staff avec motifs lumineux. Lambris et portes palissandre verni, plates-bandes, cornières et stylobates [ NDLR : soubassements décorés de moulures ] acier poli. Verrière opaline, hublots cerclés acier. Sol mosaïque ».
Puis l’on pénétrait dans le hall aux murs couverts d’une « peinture plastique à effets, bleu et argent », que l’on retrouvera à l’intérieur dans les dégagements des deux balcons. Le sol et les stylobates étaient, en écho à la façade, en mosaïque.
Pour acheter son billet, le spectateur disposait dans l’entrée et le hall de deux « caisses-guichets » et de la « caisse-contrôle » de « palissandre verni, avec cornières et plinthe d’acier poli », et glaces.
Le sol et les balustrades d’escalier étaient en granito.
Une salle somptueuse
On se souvient de l’enthousiasme du journaliste de Cinéa relatant l’inauguration de « la nouvelle et somptueuse salle Louxor » le 6 octobre 1921. Elle a certainement peu évolué depuis cette date si l’on en croit notre expert de 1931 : « Plafond à caissons, panneaux ajourés, décoration égyptienne : lotus, papyrus, hiéroglyphes, etc. Au pourtour, sous plafond et à hauteur du 1er balcon, frises décor pochoir rehaussé d’or. Pilastres avec tête décor bronze. Lambris en stuc Portor [NDLR : peinture sur stuc qui imite un marbre italien de ce nom]. Au-dessus du cadre de scène, disque ailé accosté de deux uraeus [NDLR : cobras à tête dressée] ».
Le rapport ajoute que « Ce motif est répété en divers endroits de la salle et notamment sur la façade du 1er balcon ».
Ce motif est encore visible aujourd’hui à l’extérieur, sur les mosaïques de la façade et la grille en fer forgé au-dessus de la porte principale.
–La scène était elle aussi luxueusement parée, avec son rideau d’avant-scène en velours et son « lambrequin avec applications et franges » [ NDLR : découpure d’étoffe constituée d’une bordure à festons ], ses trois rideaux de velours ( noir, rouge et bleu ), ses deux « pendrillons de tulle noir » [ NDLR : rideaux de faible largeur servant à masquer les coulisses ].
Et, partout, de l’entrée à la salle et aux loges de côté, des escaliers aux balcons et au foyer, des tapis recouvraient le sol.
C’est bien connu, comme la plupart des cinémas de l’époque, le Louxor accueillait un très grand nombre de spectateurs : le parterre comptait alors 562 fauteuils, et 108 strapontins à dossier, le 1er balcon 158 fauteuils et 34 strapontins, et le 2e balcon 228 fauteuils (soit 1090 places !). Précieux détail, nous apprenons qu’à cette date, les fauteuils étaient à « dossier cintré façon acajou verni, à siège et dossier garnis de velours gris beige ». S’agit-il des sièges d’origine ornés du disque ailé ? L’inventaire précise également le nombre de panneaux et vitrines publicitaires, tant extérieures qu’intérieures, et leur contenu. Nous y reviendrons dans un prochain article sur le Louxor et la publicité.
Quelques précisions aussi sur les aménagements apportés au bâtiment d’origine : un système d’éclairage, de chauffage et de ventilation a été installé en 1930, soit un an avant cette estimation, par l’entreprise Tunzini (1). Cette installation a nécessité l’intervention de l’entreprise de maçonnerie Bernardin.
Évalué, en raison de « l’importance des sous-sols, du choix des matériaux employés et de la richesse de la décoration », à 4 000 Frs le m², l’ensemble du bâtiment, de la décoration, des meubles et aménagements divers vaut alors, selon ce document, et après déduction des différents coefficients de vétusté, 3 508 740 Frs.
Nicole Jacques-Lefèvre ©lesamisdulouxor.fr
Recherches effectuées à la Fondation Jérôme Seydoux- Pathé
(1) L’entreprise Tunzini avait été créée en 1906 par un jeune ingénieur des Arts et Métiers, Ernest Tunzini, et avait absorbé en 1919 plusieurs autres entreprises. En 1925, Tunzini avait lancé en France « la technique des climats artificiels », et intervint entre autres aux Palais de Versailles et du Trianon, à la Bibliothèque nationale et au Musée du Louvre. Le Louxor était en bonne compagnie…
Les Établissements Tunzini continueront à se développer après la guerre, et jusqu’à nos jours. Ils sont toujours « l’un des pionniers de la climatisation en France ».