Les mosaïques égyptisantes du Louxor :

Un décor d’une qualité exceptionnelle

La mode de la mosaïque décorative s’est considérablement développée depuis le milieu du XIXe siècle, aussi bien du point de vue artistique que technique. Elle n’a toutefois donné lieu qu’à peu de réalisations égyptisantes. La frise de la façade Est du Grand-Palais (face au Petit-Palais), située en hauteur à l’extrémité gauche derrière la colonnade, fut réalisée en mosaïque d’émail d’après les dessins du peintre Louis Edouard Fournier, par l’atelier de M. Guilbert-Martin à Saint-Denis. Elle représente « L’ Art à travers les siècles », où l’Égypte occupe une place de choix et est ainsi décrite par la presse de l’époque : « … Un autre colosse, le sphinx égyptien vient ensuite, traîné sur un chariot, en arrière duquel surgit le portique d’un temple d’Isis au seuil duquel le peintre de momies trace d’une main sûre ces caractères auxquels notre siècle devait arracher leur secret. » Cette frise, très admirée à l’époque, a pu contribuer à orienter la décoration du Louxor.

Frise du Grand-Palais

Frise du Grand-Palais

Le décor du Louxor, réalisé en mosaïques par la société Gentil et Bourdet, ne propose pas de grandes compositions rejoignant l’inspiration du peintre Fournier, et ne se compose que d’éléments décoratifs égyptiens anciens, mais traités avec un soin et un souci du détail exceptionnels. Disques ailés, corniches à gorge, scarabées ailés traités à la mode art-déco, sont complétés de lotus et papyrus constituant la base du décor, que l’on retrouve en une longue frise au niveau du sol, et aussi au niveau de la galerie à colonnes papyriformes monostyles. Les lotus qui y figurent sont particulièrement intéressants, de grande taille, et donc bien visibles d’en bas. Chaque groupe se compose d’une fleur et de deux gros boutons ; quatre autres, tout petits, sont à peine esquissés. Il s’agit là d’un des motifs décoratifs très souvent rencontrés en Égypte ancienne, et l’on ne sera donc pas surpris de le voir réapparaître – traité différemment – sur la façade d’un immeuble égyptisant de Soissons (1923).

Ancienne pharmacie, Soissons

Immeuble égyptisant de Soissons (1923)

Façade Soissons

Boutique de Soissons (1923)

Cet immeuble original, situé à Soissons en centre ville, est l’œuvre de l’architecte soissonnais André Perrin. Il n’est décoré en mosaïque que dans sa partie basse, occupée par une boutique. Celle-ci, à l’origine, était au nom d’un certain Cousin, sous l’enseigne « Orthopédie-Herboristerie ». Le reste de la façade comporte des décors égyptiens réalisés en ciment par la société parisienne « Les Sculpteurs décorateurs », avec une frise d’agriculteurs, des papyrus, un scarabée ailé, un disque ailé et une tête de pharaon (aujourd’hui disparue). Les mosaïques sont l’œuvre de la société Mazzioli, mais la société Gentil et Bourdet était elle aussi sur ce chantier, ayant remporté le marché des cheminées intérieures « en grès et mosaïques » dont aucune, semble-t-il, n’était à l’égyptienne.

Le Louxor (1921) - Soissons (1923)

Le Louxor (1921) – Boutique de Soissons (1923)

On voit très clairement la différence de traitement de ces mosaïques d’inspiration identique : à gauche, au Louxor, le sujet est traité « à l’antique », avec de petits morceaux (tessères) de taille variable, dont la disposition anime tout aussi bien le fond que les fleurs. A droite, le sujet – qui mélange quelque peu lotus et papyrus – est traité de manière beaucoup plus simple, avec certains morceaux  carrés de mosaïques quasiment standards ; cela n’est pas sans charme vu à distance, mais supporte moins bien la vision de près, et c’est là que l’on mesure la qualité exceptionnelle des mosaïques du Louxor.

Une autre boutique, cette fois à Clermont-Ferrand, est également contemporaine du Louxor, et réalisée par la société Gentil et Bourdet. Il s’agit de la pharmacie Léon Gros, construite et décorée en 1921-1922 par l’architecte Louis Jarrier. On ne doit pas être surpris de constater que ce sont deux commerces liés au domaine de la médecine qui sont décorés à l’égyptienne, puisque l’Égypte a toujours été considérée comme la terre du savoir, et notamment d’une médecine célèbre et reconnue. Le propriétaire de cette pharmacie était, dit-on, féru d’égyptologie, ce qui explique la représentation assez compliquée, et entourée de multiples détails, d’une scène de psychostasie (pesée des âmes) un peu arrangée puisque la plume de Maât y est remplacée, semble-t-il, par un taureau. À l’intérieur, tout le mobilier, y compris la caisse et les chaises, était également à l’égyptienne. On retrouve très nettement la belle technique de Gentil et Bourdet, notamment dans la douceur des coloris et dans le traitement des fonds.

"La pesée des âmes" Clermont-Ferrand

“La pesée des âmes” , 1921-22, Clermont-Ferrand

Enfin, dernier exemple, une imposante fontaine en mosaïque, également réalisée par Gentil et Bourdet, ornait le centre du jardin d’hiver du paquebot Champollion. Tout l’intérieur de ce paquebot de la compagnie des Messageries Maritimes avait été décoré à l’égyptienne, au niveau surtout des premières classes, par l’architecte marseillais Raymond. Ce navire effectuait la ligne d’Égypte (1924-1952) comme d’ailleurs son sistership, le Mariette Pacha (1926-1944), également décoré à l’égyptienne. Là encore, lotus et papyrus, traités d’une manière un peu plus art déco, entourent une vasque et une colonne à l’égyptienne.

Fontaine du paquebot Champollion

Fontaine du paquebot Champollion

La découverte de la tombe de Toutankhamon (4 novembre 1922) n’a certainement pas pu influencer les décors de Soissons ni de Clermont-Ferrand. En revanche, cela n’est pas impossible pour le Champollion lancé en 1924, et dans ce cas, on peut imaginer que sa fin tragique (il s’est échoué et brisé au sud de Beyrouth en 1952) a été une ultime et cruelle émanation de la « malédiction de Toutankhamon » !…

Quand le Louxor a ouvert ses portes, tout le monde a salué la qualité de son décor égyptien, mais personne n’a signalé l’aspect novateur de la manière de traiter ce décor, et personne non plus n’a essayé de le décrypter ni de le rapprocher de la mode ambiante, pourtant bien développée dans ce domaine. Les nombreux films à l’égyptienne projetés entre les débuts du cinéma et la fin de la guerre de 1914-18, dont l’extraordinaire Cléopâtre de Charles L. Gaskill avec Helen Gardner (1912) d’après la pièce de Victorien Sardou, et l’autre Cléopâtre de J. Gordon Edwards interprétée par Theda Bara (1917) ne semblent pas avoir eu de rôle particulier en termes d’incitation à l’égyptomanie architecturale. En revanche, les objets de luxe, les parfums, la publicité étaient très friands d’égyptomanie qu’ils exploitaient très largement, et ont joué un rôle indéniable d’auto alimentation du phénomène de l’égyptomanie. Il s’agissait là d’un courant profond, à peine interrompu par la guerre de 1914-18, et les mosaïques, comme tout le décor égyptisant du Louxor, sont l’une des manifestations d’une mode bien ancrée à l’époque tant au niveau national qu’international.

© Jean Marcel Humbert / Les Amis du Louxor

Consulter aussi l’article Les mosaïques du Louxor et la galerie d’images Mosaïques.