Entretien avec Emmanuel Papillon

« Le Louxor sera un cinéma à part entière »

Emmanuel Papillon va diriger le Louxor, avec à ses côtés Carole Scotta et Martin Bidou. Nous l’avons interrogé sur divers aspects de la future exploitation du cinéma. Conscient de la complexité du défi qu’il doit relever, mais fort de sa longue expérience de directeur de salle, et de la complémentarité avec ses partenaires, il est animé d’une vision très claire, à la fois ambitieuse et réaliste, de ses objectifs. Nous le remercions vivement de nous avoir accordé cet entretien.

Décor de la grande salle

Tête de pharaon surmontant les pilastres de l’extraordinaire grande salle Youssef Chahine (photo 8 novembre 2012)

Le Louxor sera une salle Art et Essai, avec ce que cela implique en termes de diversité et d’exigence de la programmation. Vous vous êtes de plus engagé à obtenir les trois labels existants.
Oui, les labels Recherche et découverte, Jeune public et Patrimoine à compter de l’exercice 2016. Ils sont attribués aux salles en fonction de leur programmation.
Un effort particulier concernera le jeune public ?
Oui, un travail important sera fait en direction du jeune public (animations régulières, ciné-conte…) et des scolaires (participation aux trois dispositifs d’éducation à l’image).
En ce qui concerne le patrimoine, pouvez-vous nous préciser ce que sera l’Université populaire du Louxor ?
Une fois par mois en après-midi, par exemple le jeudi, nous solliciterons des critiques, enseignants, écrivains, architectes, philosophes, musiciens, peintres, économistes, avocats, médecins… qui viendront présenter d’une façon développée LEUR film fondateur.
L’approche ne sera pas forcément analytique, elle pourra être très personnelle. Chaque artiste, intellectuel, penseur reviendra sur une œuvre cinématographique fondatrice de son travail.
L’objectif de ces séances est à la fois de revisiter le patrimoine cinématographique de façon singulière mais aussi de partager des « grands témoignages » (ces derniers pourront être filmés et mis en ligne sur le site du Louxor). Le public de l’Université Populaire du Louxor pourra être des étudiants, des retraités, une ou deux classes de lycées mais aussi un public peu cinéphile souhaitant se construire une culture cinématographique.
Un programme trimestriel sera établi pour que le public puisse réserver ces séances. Une tarification très attractive sera faite pour les spectateurs qui s’engagent sur le cycle (ou même idéalement, si un mécène nous soutient, ces séances pourront être gratuites)1 .

Est-il difficile pour une salle d’obtenir le classement Art et Essai ?
Le classement (qui est réexaminé chaque année) est obtenu en fonction de certains critères ( nombre de films et de séances Art et Essai présentés dans le cinéma, durée d’exposition des œuvres, travail d’animation… ). Le classement Art et Essai est plus exigeant à Paris et c’est normal le public est plus nombreux, et plus captif.
Corollairement à la subvention Art et Essai versée par le CNC, la Mairie de Paris soutient aussi activement les cinémas indépendants. Sans cette aide, de nombreux cinémas ne pourraient pas équilibrer leurs comptes.
Vous êtes donc confiant.
Bien sûr. L’ équilibre financier est tendu, mais nous sommes confiants. Notre prix moyen ne sera pas très élevé mais nous sommes dans un quartier populaire, nous devons donner des signes forts d’incitation à la sortie cinéma. Notre plein tarif est à 9€, le tarif réduit est à 7.5€ et nous aurons des offres tarifaires très accessibles pour les spectateurs qui achètent des cartes  de 5 et 10 places. Le tarif de groupe est à 3€ pour les écoles et centres de loisirs. Nous accepterons la carte illimitée UGC/MK2 et le Pass.
Vous pouviez refuser les cartes illimitées.
Nous nous sommes interrogés… Mais finalement refuser les cartes donnait un signe qui n’aurait pas été compris par le public et notamment les jeunes.
Même si la quote part versée par les émetteurs de carte est assez basse.
Le Louxor sera doté d’un café-bar. C’est très important pour la convivialité du cinéma (et même du carrefour). De surcroît, cela peut générer des ressources. Certains exploitants comptent beaucoup sur ce genre de « recettes annexes » (cafés, privatisations du lieu, etc.) pour atteindre un équilibre financier. Vous semblez prudent dans ce domaine.
Pour l’ouverture du café-bar, nous avons mis deux postes à plein temps. Mais nous restons raisonnables quant au chiffre d’affaires attendu, compte tenu de l’architecture du lieu2.
Et il est ouvert aux seuls spectateurs du cinéma…
On peut imaginer par la suite des moyens pour l’ouvrir plus largement (cartes ? ou autre système à imaginer). Mais il n’en demeure pas moins que les entrées doivent être filtrées. Quand nous avons construit notre plan de financement nous n’avons pas voulu sous-traiter d’emblée la gestion du café. Aujourd’hui nous rencontrons d’éventuels partenaires et des conseils . Nous souhaitons une formule entre le salon de thé et le bar à vins.

La terrasse du café, située au dessus de l'espace d'exposition.

Au-dessus de l’espace d’exposition,  la terrasse du café , avec vue sur le Sacré-Coeur .

Vous avez obtenu la licence ?
Nous avons demandé une licence « petite restauration », notre objectif principal est de parvenir à un équilibre financier.
Vous avez une équipe assez nombreuse.
Nous avons au total 10,5 emplois équivalents plein temps, en incluant les deux postes prévus pour le café (qui devraient être compensés par les recettes propres qu’il dégagera). Mais il est vrai qu’il faut du personnel autour du directeur : projectionnistes, caissiers, agents d’accueil, personne chargée des actions éducatives, comptabilité… et nous avons notamment fait un choix : celui d’avoir un directeur technique très solide, en particulier pour la maintenance du bâtiment, surtout au début, car il y aura la réception du chantier, les levées des réserves, il faudra être présent pour suivre tout cela avec la Ville de Paris.
La Mairie nous a demandé d’avoir une maintenance supérieure à celle d’un cinéma classique. C’est donc assez lourd. D’où ce poste qui semblait indispensable.
Parlons maintenant de ce qui se passera au Louxor. Prévoyez-vous des « privatisations » du lieu (cocktails, manifestations diverses) ?
Il est vrai qu’il y a une forte attente ; et nous respecterons le cahier des charges quant aux obligations d’ouvrir le lieu pour certaines manifestations. Mais il y aura peu de « privatisations ». D’une part, il n’y pas véritablement de surface pour les cocktails et d’autre part, nous ne voulons pas faire sauter trop de séances. Il y aura des avant-premières, il y aura des évènements mais ce sera pour des manifestations qui ont à voir avec le cinéma.
Le premier mois de programmation sera d’ailleurs marqué par plusieurs évènements et, dans les débuts du Louxor, nous souhaitons rendre hommage à Youssef Chahine.
Il faut bien expliquer une chose : notre prétention est d’être un cinéma de quartier Art et Essai généraliste. C’est déjà beaucoup de choses ! Il faut que les gens qui veulent aller au Louxor aient l’assurance de voir des films avec des possibilités de séances conséquentes. Si le nouveau spectateur du Louxor commence à constater que, par exemple, la séance du samedi à 16 heures est supprimée, cela pose problème. La multiplication des évènements devient contradictoire avec l’identité du lieu.
Et on finit par avoir du mal à trouver dans le programme du cinéma le film qu’on souhaite voir…
Et là, pour un cinéma qui se crée, la multiplicité d’évènements peut tuer le cinéma. Il faut donc une offre de séances conséquente. Assurer une programmation continue fait d’ailleurs partie de nos engagements vis-à-vis de la Ville de Paris. Vis-à-vis des distributeurs, il n’est pas possible non plus de faire sauter des séances à volonté. Il faut de toute façon qu’il y ait compensation. Et ce serait aussi risquer de ne pas avoir les films par la suite ; ce qui serait dommageable.
Par ailleurs, certains « évènements » peuvent avoir du mal à s’intégrer dans l’environnement du quartier. Mais rien n’est figé. Si d’ici quelques mois, les choses marchent bien, on peut alors prendre plus de liberté avec le distributeur – qui saura qu’il peut compter sur de bons résultats –, et aussi avec le public qui aura pris ses repères. Mais imaginez, pour prendre l’ exemple d’un film récent, que vous sortez Populaire : il faut que les gens sachent qu’ils peuvent le voir toutes les deux heures. C’est un cinéma qui s’ouvre, un cinéma à part entière. Pas « du cinéma » entre deux évènements. Ce n’est pas un « lieu polyvalent ».
On ne mobilise pas un tel équipement pour une réunion de 20 ou même 50 personnes …
Je pense de toute façon que la découverte du lieu montrera aux gens que c’est bien d’un cinéma qu’il s’agit et ils comprendront que l’essentiel, c’est tout de même d’aller au cinéma…

La future salle Youssef Chahine

La future salle Youssef Chahine avec  l’ écran de 1921 (visible lorsque le grand  écran sera remonté).

Que pensez-vous de la grande salle (non pas de ses décors mais en tant que salle de cinéma) ?
C’est vraiment une salle magnifique, hors du commun, avec une disposition pas du tout classique. On est très loin des salles toutes noires qui sont actuellement créées et dans lesquelles le regard doit se focaliser sur l’image. Ici, on a une sensation de salle claire… Nous avons aussi un parterre très légèrement incliné alors que la tendance dans les multiplexes qui se sont construits a été de créer des salles gradinées, selon le principe du théâtre, d’ailleurs, et non du cinéma. Ici le spectateur est plus bas par rapport à l’écran situé en hauteur. C’est une autre ambiance et je pense qu’on arrive à une période où le public peut aspirer à ce changement. J’espère que beaucoup de Parisiens auront envie non seulement de voir un film, mais de le voir dans cette salle exceptionnelle.
Quel sera votre usage de l’écran polichinelle ?
Il est vrai que la salle a encore plus d’allure lorsqu’il est remonté, et qu’on voit l’écran originel [de 1921 NDLR.] et son encadrement. L’idéal serait de pouvoir laisser voir cet écran originel lors de l’entrée des spectateurs dans la salle, et de descendre l’écran polichinelle au moment de chaque film. Mais il faut aussi descendre les trois enceintes (gauche, centre, droite) qui, dans une espèce de niche de fer, remontent dans le faux plafond. Nous verrons à l’usage la fréquence à laquelle cette opération spectaculaire peut être envisagée.
Peut-on utiliser le petit écran ?
C’est compliqué, il y a un problème technique de cache d’écran. On peut projeter des images mais un film, c’est plus compliqué. Là aussi, il faudra voir selon le cas.
Nous présentons ensuite à Emmanuel Papillon les grandes lignes de l’exposition que nous organisons à la Mairie du Xe. À propos des années d’abandon du Louxor, nous l’interrogeons sur le tournage de films dans le bâtiment désaffecté.
Je connais en particulier le film Caramba3, de Philippe Decouflé (musique d’Hugues de Courson). Ceux qui connaissent le Louxor reconnaîtront sans peine la terrasse, au début du film, ainsi que les escaliers où se déroulent plusieurs séquences, et même des appliques murales.

L’entretien se termine par l’évocation des panneaux qui seront réservés dans l’exposition à l’équipe de Ciné Louxor.

Propos recueillis par Jean-Marcel Humbert, Nicole Jacques-Lefèvre, Marie-France Auzépy et Annie Musitelli ©Les Amis du Louxor

Notes de la rédaction

1. Pour le succès rencontré par une Université populaire du cinéma à Pessac, voir   l’article « L’incroyable succès de l’Unipop, l’université populaire du cinéma ».
2. Rappelons aussi qu’une brasserie devrait ouvrir à l’emplacement de l’ancien magasin Vano, à l’angle du boulevard Barbès et du Boulevard de La Chapelle. Voir l’article  « Les frères Moussié font renaître le carrefour Barbès ».
3. Il s’agit d’une vidéo danse tournée en 1986, qu’on peut voir  sur ce site Internet.