1922 : Madame Silberberg vend le Louxor

On sait peu de choses sur  Henry Silberberg. Quel était donc cet homme qui eut assez de confiance en l’avenir du cinéma pour faire démolir un immeuble haussmannien et faire construire à sa place un luxueux bâtiment, conçu – c’était alors exceptionnel – pour être une salle de cinéma, qu’il avait l’intention de gérer lui-même ? A-t-il choisi lui-même le nom du Louxor et sa décoration néo-égyptienne, où est-ce une initiative de l’architecte, Henri-André Zipcy, et des décorateurs ?

L’immeuble démoli en 1921 pour construire le Louxor accueillait le grand magasin de nouveautés « Au sacré Cœur ».

L’immeuble démoli en 1921 pour construire le Louxor accueillait le grand magasin de nouveautés « Au Sacré Cœur ».

Selon l’auteur  du passionnant Paris-Palace, ou Le temps des cinémas (1984-1918), Jean-Jacques Meusy, que nous remercions de sa collaboration, on sait seulement qu’Henry Silberberg résidait à Paris, 25, boulevard Flandrin puis 42, rue Cortambert, qu’il tenait, boulevard des Capucines, au moins depuis 1908 et jusqu’en 1920,  une agence d’affichage et de publicité « dans les journaux et tramways »1 , et qu’il fut déclaré en faillite après une requête de la Banca Italiana di Sconto, datée du 14 décembre 1921. Il mourut la même année.

L’aventure avait pourtant bien commencé :  le 6 octobre 1921, c’est  par une «soirée de gala» annoncée dans le Figaro que M. Silberberg fêtait l’inauguration de « la nouvelle et somptueuse salle Louxor » en présence de nombreuses personnalités.

Le Figaro, 6 octobre 1921

Le Figaro, 6 octobre 1921

Nous avons trouvé dans les archives de Pathé un document, daté du 12 avril 1922,  qui enregistre la vente du Louxor, après cette faillite, par la veuve d’Henry Silberberg. La faillite en question n’était sans doute pas liée à l’exploitation du Louxor, puisque la programmation ne subit  pas d’interruption. La revue Cinea2 indique en effet dans son numéro 51, pour la semaine du 28 avril au 4 mai 1922 que le Louxor proposait : Restez, mademoiselleLes dents du tigreParisette, 9e épisode3.

Cet acte, enregistré chez « Moyne et Goupil notaires à Paris », nous apprend que c’est M. Morin, « syndic de faillite Silberberg », qui est chargé de la vente du Louxor à la « Société Nouvelle du Cinéma Louxor ». Le Louxor y est désigné comme  un « immeuble à Paris, 170 bd Magenta et 53 bd de la Chapelle ».
Un certain nombre de « servitudes » sont précisées, comme la « livraison gratuite à la voie publique du terrain nécessaire à l’ouverture des rues plan ordonnancé ». Nous apprenons à ce propos que le terrain avait appartenu à James de Rothschild qui, « aux termes d’un acte de vente de L’Huillier & Coirard, Notaires à Paris, du 27 juin 1868 […] a déclaré que les rues projetées avaient été ouvertes et les travaux exécutés et que la part contributive au propriétaire avait été payée. » Et que l’ « acte de reconnaissance de mitoyenneté » avait été signé les 19 et 26 avril 1883 « entre Lesieur et le baron Haussmann ».
Le prix de vente du Louxor est de 1 600 000 Frs, dont la majeure partie ( 1 536 294,80 Frs ) sera encaissée « par M. Morin ès-qualités au profit des entrepreneurs », à savoir La Société Foncière du Nord et « divers entrepreneurs ». Le remboursement se fera « en principal en sept versements le 31 mars des années 1924 à 1930 ». À Madame Silberberg, qui renonce à « son hypothèque légale ou instruite », reste la somme de « 63 705,20 Frs payés comptant ». Enfin, l’acquéreur a obligation de « continuer les assurances » de l’immeuble « assuré pour 10 ans contre l’incendie », avec « délégation au profit des entrepreneurs sur indemnité en cas de sinistre ».

Boulevard de la Chapelle : un autre point de vue sur l'immeuble démoli pour faire place au Louxor

Vue de l’immeuble démoli pour faire place au Louxor (façade Boulevard de la Chapelle)

La revue Le Cinéma et l’Écho du cinéma réunis, dans son numéro du vendredi 21 avril 1922, se fera – très rapidement donc après la vente – l’écho de  la transaction, confirmant par sa dernière remarque le succès du cinéma Louxor :
« Au Louqsor [sic]. C’est la Société dirigée par M. Fournier4 qui vient d’acquérir le Louqsor [sic], le bel établissement du carrefour Rochechouart-Magenta. De beaux programmes sont en perspective dans cette salle construite il y a un an à peine5. »

Enfin, le 24 avril 1929, la Société de Gérance des cinémas Pathé (SGCP) prend en gérance un circuit d’une vingtaine de salles, dont le Louxor, appartenant au groupement Fournier Lutétia. Elle en deviendra propriétaire en 1930 : le Louxor devient le Louxor-Pathé.

Nicole Jacques-Lefèvre | ©lesamisdulouxor.fr

[Depuis que cet article a été publié, de nouvelles recherches ont enrichi notre connaissance d’Henri Silberberg.]

Notes

1. Annuaires du commerce Didot-Bottin. D-B 1908 (rues): 24 bd des Capucines, Henri Silberberg, affichage, publicité dans les journaux et tramways. D-B 1914 (alpha): Silberberg Henri, affichage, publicité dans les journaux et tramways, boul. des Capucines, 24. Tél. 111-42. D-B 1920 (alpha): Silberberg Henry, affichage, publicité, journaux, boul. des Capucines, 41 (2e). Tél. Centr. 94-96 et 94-97.
2. La revue Cinea, Hebdomadaire illustré, dont le n °1 est publié le 6 mai 1921, deviendra  Cinea-Ciné pour tous (n ° 1, 1er nov. 1923).
3. Voir notre article
« Au temps du muet III » .
4. La « Société nouvelle du Cinéma Louxor » était contrôlée par la Société des Cinémas Lutetia dirigée par Paul Fournier. Selon Jean-Jacques Meusy, le réseau comportait en 1925 13 salles à Paris et 2 en banlieue.
5. n° 515, p. 2. Nous remercions Jean-Jacques Meusy de nous avoir communiqué cette information.