Près du Louxor : Nadja et les sphinx

Le Xe arrondissement, appelé l’arrondissement des hôtels en raison de leur grand nombre autour des gares, a également toujours eu des relations privilégiées avec l’Égypte : la Porte Saint-Denis, les sphinx de l’hôtel Gouthière, la rue du Delta, les Promenades égyptiennes avec leurs montagnes russes rebaptisées « égyptiennes », deux curieuses sphinges ailées au 64 boulevard de Strasbourg, et bien sûr le Louxor…

Le Sphinx hôtel, vers 1925  – L’actuel Libertel Gare du Nord Suède

Mais on oublie trop le Sphinx Hôtel, 106 boulevard de Magenta, dont les deux têtes de sphinx sont toujours visibles aujourd’hui sur la façade de cet immeuble néo-classique qui a perdu son nom, même s’il est resté un hôtel. Pourquoi ces sphinx mystérieux ? Sont-ils les surveillants de l’endroit, protecteurs des nuits d’une clientèle pressée, ou discrets gardiens de secrets d’alcôves… Rappelons que l’une des maisons closes les plus huppées de la capitale, à Montparnasse, s’appelait justement Le Sphinx, et qu’une boîte de Pigalle portait le même nom.

Une des têtes de sphinx de la corniche

C’est dans cet hôtel que séjourna, à son arrivée à Paris en 1926, la Nadja d’André Breton (Léona Delcourt1), personnalité trouble et fragile nullement déplacée en cet endroit : ses facultés de divination rappellent aussi que le sphinx est le compagnon obligé de nombre de magiciens et prestidigitateurs. Et l’on n’est donc guère surpris de voir la photo de la façade de l’hôtel illustrer le livre dans lequel André Breton raconte cette rencontre et courte idylle passionnée : « Je m’ennuie. Nous passons boulevard Magenta devant le “Sphinx-Hôtel”. Elle me montre l’enseigne lumineuse portant ces mots qui l’ont décidée à descendre là, le soir de son arrivée à Paris. Elle y est demeurée plusieurs mois, n’y recevant d’autre visite que celle de ce “Grand ami” qui passait pour son oncle2. »

Illustration de Nadja, Folio Gallimard, p.122

Fort curieusement, aucun de ces êtres fabuleux, inquiétants pour les uns, rassurants pour les autres, n’eut droit de cité au Louxor. Leur connotation était-elle alors trop sulfureuse pour un établissement familial de bon aloi ? On peut se poser la question, alors qu’ils surveillent d’un œil que l’on peut supposer indulgent, à 300 mètres de là du même côté du boulevard, les allées et venues de la clientèle du cinéma. Henri Zipcy, lorsqu’il venait surveiller le chantier du Louxor, descendait-il au Sphinx hôtel ? Les deux sphinx de la façade continuent de sourire énigmatiquement : encore deux sphinx qui ont su garder leur secret…

Jean-Marcel Humbert ©lesamisdulouxor.fr

Merci à Jeannine Christophe, présidente d’Histoire et Vies du 10e et à Nicole Jacques-Lefèvre pour les précieux renseignements et documents transmis.

Notes

1-  André Breton, Œuvres complètes, Tome I, Gallimard, La Pléiade, Paris 1988, notice et notes de Marguerite Bonnet.

2- André Breton, Nadja, Paris, 1927, Folio Gallimard, p. 122.

Pour une promenade littéraire  dans le Paris de Nadja et d’André Breton, voir le site Terre d’écrivainsSur les pas de Nadja et d’André Breton Breton à Paris .